Le choix des mots n’est jamais neutre. Au Niger, il devient un acte de souveraineté. En promulguant la nouvelle Charte de la refondation le 26 mars 2025, les autorités militaires dirigées par le général Abdourahamane Tiani ont acté un tournant linguistique et politique majeur : le haoussa devient désormais la langue nationale, tandis que le français est rétrogradé au rang de simple langue de travail, aux côtés de l’anglais.
Ce changement, inscrit à l’article 12 de la charte constitutionnelle de transition, marque la rupture assumée avec l’héritage colonial francophone. Il fait également écho aux choix similaires opérés par le Mali et le Burkina Faso, les deux autres membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), tous engagés dans une politique de désengagement vis-à-vis de la France.
Un basculement linguistique porteur de symboles
La Constitution de 2010 faisait du français la langue officielle du Niger, tandis que toutes les langues locales disposaient du statut de langues nationales. La nouvelle charte inverse cette logique. Le haoussa, parlé par une majorité de la population (notamment dans les régions de Zinder, Maradi et Tahoua), prend officiellement le dessus dans un pays où seuls 13 % des habitants sont francophones.
Le français, langue administrative depuis l’indépendance, devient ainsi un outil parmi d’autres, relégué à un rôle utilitaire, vidé de sa charge identitaire. L’anglais est placé sur un pied d’égalité, signalant une ouverture vers de nouveaux partenaires internationaux et une orientation stratégique déjà amorcée sur le plan diplomatique.
Neuf autres langues : zarma-songhay, fulfuldé, kanouri, gourmantché, arabe, entre autres — sont reconnues comme « langues parlées », sans statut politique particulier.
Une recomposition politique et culturelle
Ce basculement linguistique s’inscrit dans un agenda plus large : celui d’une refondation souverainiste. En mars, le Niger s’est retiré de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), emboîtant le pas au Mali et au Burkina. Ensemble, les trois pays ont quitté la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qu’ils jugent inféodée aux intérêts français, et ont formé l’Alliance des États du Sahel (AES).
Dans cette logique, les ruptures sont à la fois symboliques et structurelles : fin de la coopération militaire avec la France, réorientation diplomatique, débaptisation des rues et monuments hérités de l’ère coloniale. La langue n’est donc qu’un front parmi d’autres dans la stratégie de décrochage du bloc francophone.
Plus qu’un geste symbolique : une redéfinition de l’État
Ce changement linguistique opère une redéfinition silencieuse mais profonde du contrat national. Le haoussa, langue transfrontalière présente au Nigeria voisin, devient un marqueur de continuité culturelle régionale. Mais ce choix soulève aussi des interrogations : quelles seront les conséquences pour les autres communautés linguistiques du pays ? Et comment se traduira, dans les faits, cette refonte dans l’administration, l’éducation ou la justice ?
En reléguant le français, les autorités nigériennes ne se contentent pas de tourner la page d’une époque : elles tentent de réécrire l’ordre symbolique de l’État. Dans un pays en quête de sécurité, de légitimité et d’unité, le langage devient une arme diplomatique autant qu’un instrument de souveraineté