L’Union européenne a franchi un cap. Face à l’escalade tarifaire imposée par l’administration Trump, Bruxelles amorce une riposte calculée. Mercredi, les États membres ont voté en faveur des premières mesures de rétorsion économique, ciblant une série de produits agricoles et manufacturés américains. Un tournant dans une confrontation commerciale qui menace de s’enraciner durablement.
Droits de douane : Bruxelles contre-attaque
Dès le 15 avril, des droits de douane progressifs entreront en vigueur, visant quelque 21 milliards d’euros de marchandises américaines. Soja, maïs, beurre de cacahuète, laque… la liste est large, mais soigneusement calibrée. Les taux appliqués devraient osciller entre 10 et 25 %, selon une version préliminaire du texte partagée entre États membres. Si la version définitive n’a pas encore été publiée, elle reflète l’intention claire de frapper sans se nuire.
Certaines exclusions notables illustrent cette prudence stratégique. Le bourbon, initialement visé, a été retiré de la liste après que Donald Trump a menacé de taxer à 200 % tous les alcools européens, ce qui aurait durement affecté les producteurs de vin en France, en Italie et en Espagne.
Un équilibre délicat entre fermeté et gestion des risques
L’objectif de l’Union est double : envoyer un signal de fermeté à Washington tout en limitant les dommages collatéraux pour les économies nationales. D’où des consultations intensives, menées en amont du vote, avec les responsables politiques et les secteurs économiques dans l’ensemble des 27 pays membres.
« Ils ne vont pas vraiment vers une confrontation totale », analyse Carsten Brzeski, économiste chez ING. Selon lui, cette posture “mesurée” pourrait préserver la marge de manœuvre pour une éventuelle désescalade. À ses yeux, la diversité des intérêts économiques internes, mais aussi la conscience aiguë des risques systémiques, empêchent l’UE d’adopter une approche aussi frontale que celle de Pékin face à Washington.
Même prudence chez Chad Bown, du Peterson Institute for International Economics, qui rappelle que toute réplique européenne risque d’entraîner des coûts économiques internes. En clair, frapper trop fort reviendrait à se blesser soi-même.
La tentation d’un “bazooka” commercial européen
Mais l’Europe pourrait-elle aller plus loin ? En coulisses, certains responsables nationaux plaident pour une extension des représailles vers un terrain jusqu’ici épargné : les services numériques américains. Le fameux « bazooka » européen, jamais encore utilisé, viserait les géants comme Google ou Amazon des secteurs dans lesquels les États-Unis enregistrent un excédent net vis-à-vis de l’Europe.
Une telle initiative, politiquement sensible et économiquement risquée, ouvrirait un nouveau front : celui du numérique et de la souveraineté technologique. Henna Virkkunen, commissaire européenne chargée de cette souveraineté, a admis en conférence de presse que des mesures sont à l’étude, tout en réaffirmant la priorité donnée à la négociation : « Nous voulons négocier. Mais si nécessaire, nous devons aussi protéger notre industrie. »
Vers une guerre commerciale à long terme ?
La semaine dernière, Washington a imposé une taxe générale de 20 % sur tous les produits européens non encore tarifés, après avoir déjà taxé l’acier, l’aluminium et l’automobile à hauteur de 25 %. L’Europe prépare donc une deuxième salve de ripostes ciblées, dont les contours seront dévoilés au cours des prochains jours.
Pour l’heure, seule la Hongrie s’est opposée au plan européen, affichant une fois de plus sa volonté de se distinguer de la ligne majoritaire de Bruxelles. Les autres capitales avancent, prudemment, mais unies, sur un chemin où l’économie devient l’extension directe de la politique étrangère.