Après six semaines et demie de tractations post-électorales, l’Allemagne s’apprête à retrouver un cap politique. Les chrétiens-démocrates (CDU) de Friedrich Merz et les sociaux-démocrates (SPD) d’Olaf Scholz ont officiellement conclu un accord de coalition, ouvrant la voie à l’investiture de Merz comme chancelier début mai. Une alliance centriste inédite dans la forme, mais familière dans la tradition allemande
Ce retour à la “grande coalition” intervient dans un contexte géopolitique hautement volatil : escalade commerciale avec les États-Unis, incertitudes sur l’avenir de l’OTAN, pressions russes croissantes sur les frontières orientales de l’Europe. Dans ce moment charnière, Berlin, première puissance économique du continent, était sans leadership clair, une vacance que cet accord vise à combler.
Une prise de fonction sous haute pression
Friedrich Merz, leader conservateur au positionnement libéral sur le plan économique, a fait de la réindustrialisation, du soutien à la défense et de la fermeté migratoire les piliers de sa campagne. Pressé d’agir, il a profité de la période transitoire pour faire adopter une extension du plafond de la dette, afin de financer un plan d’investissements dans les infrastructures et l’armée; un geste inhabituel en Allemagne, mais justifié par l’urgence.
Lors de l’annonce de l’accord, Merz a adressé un message direct au président Trump : « L’Allemagne est de retour sur la bonne voie. » En clair, Berlin entend redorer son rôle au sein de l’alliance occidentale tout en reprenant la main sur son agenda stratégique et économique.
Une coalition de raison, non d’enthousiasme
L’accord reste à valider par les partis, mais l’architecture du gouvernement est déjà définie. En intégrant le SPD, les conservateurs se rallient à un partenaire affaibli dans les urnes (16,4 %), mais structurant dans le paysage institutionnel. Ensemble, ils promettent des baisses ciblées d’impôts, la création d’un ministère de la numérisation, et un resserrement de la politique migratoire, notamment via l’annulation de certaines mesures récentes facilitant l’accès à la citoyenneté.
Sur le terrain social, des arbitrages ont été faits : réduction des allocations chômage, allégements fiscaux sur les heures supplémentaires, autant de signaux adressés à l’électorat conservateur, sans rompre totalement avec les équilibres sociaux-démocrates.
Des critiques internes et une extrême droite en embuscade
Mais au sein même de la CDU, des voix s’élèvent contre ce compromis jugé trop favorable au SPD. La base militante, notamment la jeunesse du parti à Cologne, s’interroge : « Où est la nouvelle orientation promise ? Où est le redressement économique annoncé ? »
Certains estiment que Merz a trop cédé sur les dépenses d’infrastructure, alors qu’il s’était engagé à financer ses réformes sans endetter davantage le pays.
Dans le même temps, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) poursuit sa progression. En tête dans un sondage publié mercredi (25 %), elle devance pour la première fois la CDU (24 %) depuis la Seconde Guerre mondiale. Une alerte sérieuse sur l’état du paysage politique allemand, et sur la défiance grandissante d’une partie de l’opinion.
Une coalition pour agir, non pour durer ?
L’accord entre CDU et SPD apparaît ainsi moins comme une alliance de vision que comme un pacte de stabilité en temps de crise. Si Merz parvient à incarner une Allemagne réengagée sur la scène internationale, il devra en parallèle restaurer la confiance intérieure, dans un pays où les citoyens semblent osciller entre résignation, méfiance et impatience.