Le 13 avril 2025, Brice Clotaire Oligui Nguema est officiellement devenu président du Gabon, porté par une victoire écrasante : 90,35 % des voix, selon les résultats provisoires du ministère de l’Intérieur. Une ascension fulgurante pour cet homme du sérail, militaire de carrière, longtemps resté dans l’ombre de la dynastie Bongo dont il est pourtant issu, de par ses racines et son parcours.
Un fils du sérail devenu maître du jeu
Né en 1975 à Ngouoni, dans la province du Haut-Ogooué, fief historique de la famille Bongo, Oligui Nguema a grandi à l’écart du faste mais non du pouvoir. Fils d’un militaire Fang et d’une mère Téké cousine des Bongo, il évolue dans le giron du régime, protégé par des figures comme le général André Oyini, pilier du système d’Omar Bongo.

Très jeune, il rejoint le cercle rapproché d’Omar Bongo. Il en devient l’aide de camp et accompagne le président jusqu’à son dernier souffle, en 2009 à Barcelone. Cette proximité historique avec le patriarche du régime forgé par le Parti démocratique gabonais (PDG) façonne sa vision du pouvoir et du leadership. Mais après la mort d’Omar Bongo, le jeune officier est mis en réserve diplomatique : attaché militaire au Maroc, puis au Sénégal, loin du tumulte du régime Bongo II.

Le retour et la rupture
Son retour à Libreville en 2019, à la tête des services de renseignement de la Garde républicaine, est un tournant. Le pays traverse alors une crise de succession larvée. Ali Bongo, affaibli par un AVC, laisse un pouvoir morcelé entre ses proches, son épouse Sylvia Bongo et leur fils Noureddin. C’est dans ce contexte de confusion que Brice Clotaire Oligui Nguema gagne en influence au sein de l’appareil sécuritaire.

Le 30 août 2023, à l’aube, le pouvoir chavire. Une élection contestée, des résultats nocturnes, et quelques heures plus tard, la transition est actée. À sa tête : Oligui Nguema. Le coup de force se veut propre, sans violence. Il est justifié par une volonté de « libérer le peuple gabonais » d’un système arrivé à bout de souffle. En réalité, le militaire ne supportait plus l’arrogance des nouveaux cercles du pouvoir. Deux noms seulement tombent dans les filets de la junte : Sylvia Bongo et son fils.
Beaucoup voient en lui le catalyseur d’un ras-le-bol généralisé face à la « jeunesse dorée » qui avait pris le contrôle du palais présidentiel.
Une ascension maîtrisée, une popularité façonnée
Dès sa prise de pouvoir, le nouvel homme fort du Gabon adopte une posture rassurante. Il renonce à son salaire présidentiel, multiplie les symboles de proximité avec le peuple et promet un retour à un pouvoir civil. Mais la charte de transition, qu’il façonne à sa mesure, le rend éligible et contrairement à ses collaborateurs. En filigrane, l’option présidentielle se dessine rapidement.
De la promesse de transition à la conquête électorale
À peine installé, le chef de la transition promet un retour à l’ordre civil. Mais la charte rédigée laisse une porte ouverte : lui seul peut se présenter à la présidentielle. Très vite, il imprime son rythme : dialogue national, réforme constitutionnelle adoptée par référendum en novembre 2024, nouveau calendrier électoral, et un appareil d’État entièrement réorganisé autour de sa personne.

Oligui bénéficie du soutien d’une coalition hétéroclite rassemblant anciens du système, opposants recyclés et figures de la société civile. Dans cette atmosphère d’unanimité quasi imposée, rares sont les voix dissidentes. Il parle d’« inclusivité », mais impose un verrouillage politique assumé.
Une campagne sur mesure, une popularité sans partage
Le culte de la personnalité se réinvente : du slogan « C’BON » à la mise en scène de son humilité (renoncement au salaire présidentiel, immersion au village, gestes symboliques), Brice Clotaire Oligui Nguema s’impose comme le nouveau visage du pouvoir gabonais, à la fois populiste, patriote et autoritaire. Il revendique un rôle prophétique : celui de Josué, successeur de Moïse, guide du peuple vers une terre promise.

La campagne est courte, mais dominée. Le 12 avril 2025, les Gabonais votent massivement. Le dépouillement est inédit : pour la première fois depuis 2009, il est filmé en direct, signe d’une volonté de transparence affichée. Et les résultats tombent : 90,35 % pour Oligui Nguema. Alain-Claude Bilie By Nze ne récolte que 3,02 %.

Un pouvoir total, des défis colossaux
L’élection remportée avec plus de 90 % des voix ne masque pas les nombreuses incertitudes. Le Gabon, pays riche en pétrole mais miné par une pauvreté structurelle : un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. Chômage, coupures d’eau et d’électricité, hôpitaux vétustes, routes dégradées… Les défis économiques et sociaux sont immenses. Les perfusions sociales de la transition peuvent-elles perdurer ? La dette, à 73,3 % du PIB, est-elle soutenable ? Les rachats opérés dans le secteur pétrolier porteront-ils leurs fruits ?
Le chef de l’État mise sur une relance ambitieuse : agriculture, matières premières, infrastructures, grands projets symboliques. Mais derrière les promesses, les vieilles structures du PDG rôdent encore. Les visages de l’ancien régime peuplent les coulisses du nouveau pouvoir. Les « kounabelistes » , opportunistes, patentés semblent s’être adaptés au nouveau maître sans rompre avec les habitudes du passé.

Un président à l’écoute… mais sous surveillance
Adulé par une large frange de la population, Oligui Nguema incarne l’ordre et la restauration d’un État affaibli. Mais certains observateurs pointent une continuité de fond avec le système Bongo : omniprésence des anciens barons, culte de la personnalité, gestion verticale du pouvoir. Si son style tranche avec celui d’Ali, le fond reste parfois trop familier.
Une présidence sans fusible
À la tête d’un régime présidentiel renforcé, sans Premier ministre, Oligui Nguema s’installe au sommet d’une Cinquième République façonnée pour son action. Il sait qu’en cas d’échec, nul ne pourra servir de bouclier. « Sur sept ans, on a le temps de tout résoudre. Après sept ans, si rien n’est fait, chassez-moi », a-t-il lancé fin mars. Une promesse solennelle, mais aussi une mise au défi du peuple.

Brice Clotaire Oligui Nguema n’est plus seulement le tombeur d’Ali Bongo. Il est désormais le président élu du Gabon. Il incarne à la fois la continuité d’un système qu’il connaît parfaitement, et l’espoir d’un renouveau pour une grande partie de la population.
Alors que les attentes sont immenses, l’homme du 30 août entre dans l’histoire par la grande porte. Reste à savoir s’il en sortira en bâtisseur ou en illusionniste. L’heure du bilan n’a pas encore sonné. Mais le Gabon observe, et espère.