15 Juin 2025, dim

ENQUÊTE | Wagner à Bangui : la République centrafricaine sous influence russe

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Plus de cinq ans après leur arrivée officielle en République centrafricaine, les hommes de Wagner n’ont pas quitté Bangui. Au contraire, ils s’y enracinent, s’y fondent, s’y affichent. Entre présence militaire, emprise économique et influence culturelle, leur empreinte ne cesse de s’étendre, même après la mort d’Evgueni Prigojine. Enquête exclusive sur ce laboratoire discret de la stratégie russe en Afrique.

Un bar, une bière, un signal discret

Bangui, un soir de pluie. Un bar animé où l’on sert des bières fortes dans des bouteilles en plastique marquées d’un nom évocateur : Africa ti L’Or. Le lieu appartient à des mercenaires russes. À première vue, rien de menaçant. Mais en RCA, chaque mot, chaque regard, chaque mouvement peut être observé, écouté, interprété. Bienvenue dans la capitale d’une guerre silencieuse.

Depuis l’arrivée des premiers « instructeurs russes » en 2018, Bangui a changé de visage. La République centrafricaine est devenue le cœur battant de l’influence russe en Afrique subsaharienne, bien au-delà du champ militaire.

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Un bastion russe au cœur de l’Afrique

Alors que Wagner est officiellement dissous ailleurs, Bangui continue de l’honorer. Statues, fresques, bière à son effigie, mais aussi présence sur le terrain : les troupes restent actives, visibles, intégrées dans l’appareil sécuritaire de l’État.

Derrière cette continuité : Dmitri Sytyi, l’un des proches les plus fidèles de Prigojine. Ancien traducteur, désormais chef d’orchestre local de l’influence russe. Il incarne l’évolution de Wagner : de la milice à la diplomatie culturelle, de la guerre ouverte à la guerre douce.

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Culture, business, armée : la méthode Wagner

La stratégie est complète : militaire, économique, idéologique.

Langue et culture : Le russe est devenu la troisième langue officielle. Une Maison Russe a ouvert à Bangui. On y projette des films, on y apprend la langue, on y joue des pièces de théâtre. L’objectif est clair : construire une diplomatie d’influence durable.

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Économie parallèle : Midas Resources, société liée à Wagner, contrôle aujourd’hui l’essentiel des ressources minières stratégiques du pays, notamment l’or. Des partenariats « exclusifs » ont été noués avec le pouvoir centrafricain.

Contrôle sécuritaire : La milice russe assure toujours la protection rapprochée du président Touadéra, et reste un pilier de la défense du pays contre les groupes rebelles.

Le pouvoir, les symboles, la loyauté

Personnage-clé dans cette relation : Fidèle Gouandjika, conseiller du président, ex-opposant à Bokassa, figure haute en couleur du régime. T-shirt Je suis Wagner, accueil de Prigojine dans son « palais », collection de souvenirs… Pour lui, « les Wagner ont sauvé la RCA ».

« Grâce à eux, on a repris 80 % du territoire. Les rebelles ont été exterminés. »

Son discours est direct, brut, assumé. Mais derrière cette fidélité, se cache une lecture lucide des rapports de force : la France est affaiblie, les États-Unis absents, et la Russie, elle, est là.

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Touadéra, l’équilibriste

À Bangui, le président joue sa propre partition. Faustin-Archange Touadéra manie les influences comme des cartes : Wagner pour la sécurité, la Russie pour la légitimité, la France pour l’aide budgétaire. Il obtient de Paris un soutien financier sans renier Moscou. Il refuse de choisir et tire parti du vide stratégique mondial.

Ses alliés ? Ils sont nombreux… mais provisoires. La fidélité ne se joue pas en termes d’idéologie, mais d’efficacité

Entre culte et terreur

Mais derrière le vernis du partenariat russo-centrafricain, la peur rôde.

Des journalistes surveillés, des critiques muselées, des ONG expulsées, et surtout, des civils victimes. Dans l’arrière-pays, des centaines de morts, des villages rasés, des violences sexuelles. Certaines victimes parlent de « soldats blancs » comme d’un spectre. Un autre colonialisme ?

« Ils ont apporté la sécurité, mais à quel prix ? », s’interroge un imam de Bangui.

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L’Afrique, un échiquier géopolitique

Bangui est aujourd’hui une plateforme opérationnelle de la politique africaine de la Russie. La base militaire en cours d’expansion vise à accueillir 10 000 hommes d’ici 2030. Un hub stratégique pour rayonner vers le Sahel, le Congo, l’Afrique de l’Ouest.

Les puissances occidentales le savent. Les États-Unis ont proposé une société de sécurité privée en remplacement. Sans succès. L’Union européenne, elle, continue d’envoyer de l’aide humanitaire, mais sans contrepartie politique réelle.

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Sytyi, le visage discret de l’empire

Loin des treillis, Dmitri Sytyi cultive une image d’intellectuel bohème. Il rêve de théâtre, travaille à un dictionnaire russo-sango, parle d’éducation, d’échanges, de reconstruction. Son bras droit est une prothèse : vestige d’un attentat à la lettre piégée. Un symbole : le soft power russe peut avoir des griffes.

Wagner : un nom, une méthode, une transition

À Bangui, Wagner n’est plus seulement une milice. C’est un système. Il a ses relais, ses visages, ses symboles, ses codes. Il a été absorbé, recyclé, localisé. Mais il reste une puissance invisible. Une main sur l’État, une oreille dans les hôtels, un œil dans les bars.

Et si la Russie, à travers cette vitrine, préparait une doctrine africaine nouvelle, plus hybride, plus fluide, plus durable ?

La RCA, miroir d’un monde en recomposition

Ce pays pauvre, enclavé, souvent oublié, est devenu un laboratoire géopolitique. Un terrain où se croisent ambitions russes, tentatives françaises, calculs américains, et espoirs locaux.

Ici, les conflits ne se mènent pas qu’à la kalachnikov, mais aussi à coups de théâtre populaire, de bière forte et de t-shirts à effigie. Ici, la guerre est aussi culturelle. Et le silence peut parfois faire plus de bruit qu’un tir d’arme.

Claire Makissi Grandes Lignes

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