Alors que la plupart des économies ouest-africaines ploient sous le poids des instabilités politiques, des coups d’État militaires ou de la montée du djihadisme, un pays se démarque par la régularité de sa trajectoire économique. Avec une croissance soutenue, une inflation maîtrisée et une attractivité croissante pour les investisseurs, la Côte d’Ivoire s’impose comme un modèle discret mais solide de résilience et de transformation économique.
Une dynamique soutenue depuis plus d’une décennie
Depuis 2012, l’économie ivoirienne enregistre une croissance moyenne annuelle de 7 %. Même en pleine pandémie, le pays a conservé un cap positif. Les projections pour 2024 et 2025 tablent sur une progression de 6,5 %. Contrairement à ses voisins, l’inflation reste sous contrôle : 3,8 % en 2024, contre plus de 20 % en moyenne dans la région.
Le PIB par habitant, désormais estimé à 2 900 dollars, est le plus élevé d’Afrique de l’Ouest francophone (hors Cap-Vert). Le chômage des jeunes est bas, autour de 5 %, et la Côte d’Ivoire est le seul pays de l’enquête 2024 sur la jeunesse africaine où une majorité estime qu’il est facile de trouver un emploi.
Une économie moins dépendante du cacao
Si le premier « miracle ivoirien » était porté par l’agriculture et la domination du pays dans la production mondiale de cacao, le deuxième s’appuie sur une diversification réussie. En 2022, les services représentaient plus de la moitié du PIB et l’industrie environ un quart. L’agriculture, bien qu’encore cruciale, a vu sa part relative reculer, réduisant ainsi l’exposition aux chocs climatiques ou aux fluctuations des prix des matières premières.
Cap sur l’énergie : pétrole et gaz en renfort
Pour soutenir sa croissance, la Côte d’Ivoire se tourne aussi vers ses ressources sous-marines. Le projet Baleine, mené par l’italien Eni, mobilise 10 milliards de dollars d’investissement. Avec 60 000 barils de pétrole et 70 millions de pieds cubes de gaz produits chaque jour, le gouvernement vise une production de 200 000 barils d’ici 2027.
L’investissement comme moteur
L’un des leviers clés de cette performance reste l’investissement privé. Entre 2012 et 2024, la Côte d’Ivoire a attiré plus de capitaux que tout autre pays francophone d’Afrique de l’Ouest, avec une croissance annuelle moyenne de 8,6 % des flux entrants. Ce capital finance aussi bien les banques que les startups fintech, mais également l’industrie manufacturière et les infrastructures.
Un cadre juridique incitatif – notamment le Code des investissements révisé en 2018 – a consolidé cette dynamique. Il accorde des exonérations fiscales aux entreprises investissant massivement ou recrutant localement. Les résultats sont visibles : les infrastructures se modernisent, les réseaux de transport se densifient, et l’accès à l’électricité est passé de 34 % en 2013 à plus de 90 % aujourd’hui.
Des tensions politiques en embuscade
Mais cette réussite économique repose sur un équilibre politique fragile. Alassane Ouattara, président depuis 2010, a obtenu un troisième mandat controversé en 2020 et n’exclut pas de se présenter à nouveau. À 83 ans, son avenir politique interroge. Face à lui, l’ancien président Laurent Gbagbo pourrait revenir sur le devant de la scène. Dans un pays encore marqué par deux guerres civiles (2002–2007 et 2010–2011), la stabilité politique est une condition non négociable pour préserver les acquis économiques.
Un modèle à préserver
La Côte d’Ivoire a bâti, sans tapage, un modèle économique pragmatique, tourné vers l’investissement productif, les infrastructures et la diversification. Elle reste à ce jour l’un des rares pays africains à réunir croissance forte, inflation maîtrisée et politique d’investissement cohérente.
Mais comme le souligne un analyste de la Banque africaine de développement, cette réussite place désormais le pays face à un paradoxe : « Il y a quinze ans, la Côte d’Ivoire n’avait rien à perdre. Aujourd’hui, elle a beaucoup à perdre. »