À quelques jours de l’ouverture du conclave qui désignera le successeur du pape François, une question hante les couloirs du Vatican : le cardinal Angelo Becciu a-t-il encore le droit de voter ? Condamné pour des malversations financières, écarté officiellement par François en 2020, l’ancien haut responsable clame aujourd’hui avoir été réhabilité. Et sa présence, réelle ou symbolique, pèse sur l’équilibre d’un scrutin crucial.
Le 7 mai, plus de 130 cardinaux pénétreront dans la chapelle Sixtine pour désigner celui qui deviendra le prochain chef de l’Église catholique. Un absent de marque : Angelo Becciu. Figure jadis influente de la Curie, son implication dans un vaste scandale financier l’avait conduit à la démission et à la perte de plusieurs privilèges. Mardi, dans un communiqué transmis par son avocat, il a assuré qu’il respecterait la volonté du pape, « dans l’intérêt de l’Église », tout en réaffirmant croire « en [son] innocence ».
À la mort de François la semaine dernière, l’incertitude demeurait sur l’effectivité de sa mise à l’écart. Le cardinal Becciu, condamné en 2023 par un tribunal du Vatican pour fraude et détournement de fonds, avait néanmoins pris part aux réunions préparatoires du conclave, suscitant interrogations et embarras au sein du Saint-Siège.
Arrivé de sa Sardaigne natale, l’ancien chef de cabinet pontifical qui dirigeait également la Congrégation pour les causes des saints a rejoint ses confrères cardinaux dans les échanges à huis clos portant sur les défis majeurs de l’Église. Mais sa présence, controversée, a alimenté les spéculations.
Dans les cafés autour du Vatican, les rumeurs allaient bon train : verrait-on les gardes suisses empêcher un cardinal de 76 ans d’entrer dans la chapelle Sixtine ? Sur la place Saint-Pierre, les journalistes harcelaient les prélats de questions : « Becciu sera-t-il au conclave ? » L’affaire a même parasité les briefings du Vatican, certains s’interrogeant sur un possible report de l’élection : « Pas de Becciu, pas de conclave ? »
Au-delà de sa propre situation, la controverse soulevait une question de légitimité : si l’on interdisait à Becciu de voter, le conclave et donc le futur pape ne risquait-il pas d’être contesté ? Certains prélats conservateurs évoquaient déjà un conclave biaisé, dominé par des électeurs choisis par François.

En toile de fond : une décision papale prise en 2020, par laquelle le Vatican annonçait que Becciu avait été déchu de ses « droits liés au cardinalat ». À l’époque, l’intéressé avait reconnu avoir perdu son droit de vote. Mais la semaine dernière, il affirmait que ses « privilèges cardinaux » avaient été restaurés.
Il en voulait pour preuve une déclaration dans L’Unione Sarda, son journal local, selon laquelle François ne lui aurait jamais signifié formellement cette privation. « Je participerai au conclave », affirmait-il.
Or, la loi du Vatican est claire : un cardinal privé de son droit de vote ne peut le récupérer qu’avant la vacance du Siège, et uniquement par décision du pape. Becciu assure que François, lors d’une rencontre en janvier, lui aurait confié : « Je pense avoir trouvé une solution. »
Pourtant, le site officiel du Vatican classe toujours Becciu parmi les « non-électeurs ». « Ce classement n’a aucune valeur juridique », rétorquait-il.
Le doute planait donc. Certains, comme le cardinal Müller, exigeaient un document écrit : « Une telle exclusion doit être motivée. Qu’a-t-il fait de mal ? »
Un tribunal ecclésiastique a pourtant tranché : en 2023, Becciu est reconnu coupable d’avoir détourné plus de 500 000 euros, en partie pour financer la libération d’une religieuse au Mali, via une intermédiaire qui aurait ensuite utilisé l’argent à des fins personnelles. D’autres accusations incluent un don détourné à un organisme dirigé par son frère, ou encore une opération immobilière à Londres ayant causé une perte de plus de 200 millions d’euros pour le Vatican.
Les avocats de Becciu affirment que le pape a modifié les règles en cours d’enquête, complexifiant leur défense. Le procureur, lui, évoque une « hérésie internationale ».
Pour Angelo Becciu, ce conclave aura donc lieu sans lui. Mais l’agitation provoquée par sa situation aura révélé les lignes de fracture d’une Église tiraillée entre autorité pontificale, défiance doctrinale et héritages politiques. En arrière-plan de la chapelle Sixtine, l’ombre d’un cardinal déchu plane encore sur une élection censée incarner l’unité.
Paul Lamier Grandes Lignes