Alors que le Soudan plonge dans une guerre de plus en plus complexe, les affrontements sur le terrain ont laissé place à une guerre aérienne dominée par les drones. Les bombardements de Port-Soudan au mois de mai 2025 ont marqué un tournant, révélant l’usage stratégique de drones par les Forces paramilitaires de soutien rapide (RSF) pour frapper en profondeur sur des cibles militaires et civiles. Ces attaques ont non seulement exposé les failles de la défense aérienne des forces armées soudanaises (SAF) mais ont également souligné l’influence croissante d’acteurs étrangers dans ce conflit qui déchire le pays depuis plus de deux ans.
Une démonstration de force inattendue des RSF
Les premiers signes de cette nouvelle stratégie sont apparus lorsque des drones kamikazes ont frappé des cibles stratégiques à Port-Soudan, une ville portuaire qui servait de refuge pour des milliers de déplacés ayant fui les combats dans le centre du pays. Parmi les cibles visées figuraient des dépôts de carburant, un hôtel fréquenté par des étrangers, des installations portuaires et des bases militaires. La capitale économique du Soudan est ainsi devenue un nouveau front dans cette guerre civile, autrefois centrée sur Khartoum et le Darfour.
Cette escalade des RSF n’a pas seulement surpris les observateurs. Selon une source proche de l’administration militaire soudanaise, l’armée a été prise de court. Le général Abdel Fattah al-Burhan, chef des forces armées soudanaises et dirigeant de facto du pays, a tenté de rassurer la population en promettant de vaincre les RSF « et tous ceux qui les soutiennent ». Mais la réalité sur le terrain est plus complexe. Les RSF, dirigées par le général Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemeti, ont montré une capacité inattendue à mener des frappes aériennes de précision.
Les drones : une arme de puissance asymétrique
Les attaques de drones des RSF ont été identifiées comme provenant d’appareils de type CH-95 et FH-95 de fabrication chinoise, capables de lancer des missiles guidés. Ces drones auraient été fournis par des soutiens étrangers, notamment les Émirats arabes unis, bien qu’Abou Dhabi nie toute implication. Ces appareils ont été utilisés pour cibler des infrastructures stratégiques, y compris le seul aéroport en activité de Port-Soudan.

Pour les RSF, ces drones représentent une arme de puissance asymétrique. Là où les forces armées soudanaises disposent de chasseurs-bombardiers et de drones turcs Bayraktar TB2, les RSF se sont dotées de drones capables de frapper au-delà de leurs lignes de front. En avril, une frappe des SAF sur l’aéroport de Nyala, dans l’ouest du pays, a détruit un avion cargo chargé d’armes pour les RSF, tuant également plusieurs conseillers militaires étrangers. Mais cette frappe a entraîné une riposte des RSF, qui ont intensifié leurs attaques de drones.
Des soutiens étrangers de plus en plus visibles
Les drones ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Derrière les RSF se profile l’ombre de puissances étrangères, notamment les Émirats arabes unis et la Chine. Si les Émirats arabes unis nient avoir fourni une aide militaire directe aux RSF, les preuves s’accumulent : des armes de fabrication chinoise, notamment des missiles guidés GB50A et des obusiers AH-4 de 155 mm, ont été identifiées sur les sites bombardés.

Le général Burhan a publiquement accusé Abou Dhabi de soutenir la rébellion de Hemeti. Le 12 mai, le gouvernement soudanais a officiellement rompu ses relations diplomatiques avec les Émirats arabes unis, qualifiant le pays d’« État hostile ». Une décision qui met en lumière les jeux de pouvoir qui se jouent autour de cette guerre.
L’échec de la suprématie aérienne des SAF
Pendant les premiers mois du conflit, les SAF bénéficiaient d’une supériorité aérienne décisive. Les chasseurs Mig et Sukhoï de l’armée soudanaise, soutenus par des drones de surveillance iraniens, avaient permis de maintenir une pression constante sur les positions des RSF. En juin 2024, l’arrivée des drones turcs Bayraktar TB2 avait renforcé cette supériorité.
Mais la riposte des RSF a montré les limites de cette domination. Alors que l’armée soudanaise espérait mettre fin au conflit avec la reconquête de Khartoum, les drones des RSF ont transformé Port-Soudan en un nouveau champ de bataille.
Une guerre internationale sur le sol soudanais
Les analystes militaires estiment que les RSF n’auraient jamais pu se doter de drones de combat sans l’aide de partenaires étrangers. Wim Zwijnenburg, expert en drones à l’organisation néerlandaise PAX, affirme que les drones identifiés sur les sites des attaques de Port-Soudan ressemblent fortement à ceux présentés lors de salons d’armement aux Émirats arabes unis.
Cette internationalisation du conflit a transformé le Soudan en un terrain de rivalité entre puissances régionales. Les SAF, soutenues par la Turquie et l’Iran, s’opposent à une milice paramilitaire appuyée par des acteurs dont le soutien reste opaque.
Un conflit sans issue visible
Alors que les combats font rage, la population soudanaise continue de souffrir. Plus de 150 000 personnes ont été tuées et 12 millions ont été déplacées. L’ONU alerte sur une crise humanitaire qui pourrait se transformer en famine.

Les tentatives de médiation internationale se heurtent à une réalité amère : les deux camps semblent déterminés à poursuivre le conflit. Le général Hemeti, à la tête des RSF, a rejeté toute idée de négociation tant que ses forces conserveront leur capacité de frappe. De son côté, le général Burhan continue d’appeler à une « victoire totale » sur les RSF.
Pour Abdalla Hamdok, ancien Premier ministre soudanais, cette guerre est devenue une tragédie sans fin. « Les SAF avaient la suprématie aérienne. Aujourd’hui, celle-ci est considérablement réduite. Aucun endroit n’est sûr au Soudan », a-t-il déclaré.
Le conflit soudanais a dépassé les frontières nationales pour devenir un affrontement par procuration où drones, armes étrangères et puissances régionales redéfinissent les lignes de front. En dépit des déclarations de victoire des SAF, la guerre des drones a redonné aux RSF un pouvoir de nuisance qui menace l’équilibre du pays.
Paul Lamier Grandes Lignes