Le Déclin d’une Dictature
Après une décennie de prospérité apparente et de domination absolue, le régime de Mobutu entre dans une phase de déclin à partir des années 1980. Les fondations économiques s’effondrent, la corruption atteint des sommets, et les premières voix de l’opposition s’élèvent. L’économie du Zaïre, autrefois florissante grâce aux revenus miniers, s’écroule sous le poids de la mauvaise gestion, de la corruption et de la dépendance excessive aux matières premières. La population, appauvrie, se tourne vers des leaders de l’opposition, tandis que les puissances occidentales, en pleine fin de guerre froide, commencent à se distancier du dictateur zaïrois.

1. La Crise Économique : L’Échec du Modèle Mobutiste
1.1. L’Économie en Chute Libre
- La baisse des prix du cuivre, principale source de devises du Zaïre, plonge le pays dans une crise économique dès 1977.
- La Gécamines, pilier de l’économie nationale, voit sa production chuter drastiquement.
- Les projets d’infrastructure lancés sous Mobutu tombent en ruine faute d’entretien.
- Les entreprises nationalisées lors de la “Zaïrianisation” sont en faillite, incapables de générer des revenus.

1.2. Une Dette Écrasante et une Inflation Galopante
- Pour financer ses projets de prestige et maintenir son train de vie, Mobutu contracte des prêts auprès des institutions internationales.
- En 1980, la dette extérieure atteint 5 milliards de dollars, un fardeau insoutenable pour l’économie zaïroise.
- L’inflation s’envole, rendant les salaires dérisoires et poussant des millions de Zaïrois dans la pauvreté.
- Les fonctionnaires de l’État ne sont plus payés régulièrement, entraînant des grèves et des mutineries.

1.3. Une Monnaie Dévaluée et une Économie de Plaisance
- Le Zaïre connaît une série de dévaluations monétaires, rendant la monnaie locale, le zaïre, presque sans valeur.
- Dans les provinces, le dollar américain remplace progressivement le zaïre comme monnaie d’échange.
- Les élites continuent de s’enrichir, transférant leurs avoirs à l’étranger tandis que la population s’appauvrit.

2. L’Émergence de l’Opposition et la Montée de la Contestation
2.1. La Fronde Parlementaire de 1980 : Le “Groupe des Treize”
- En 1980, treize parlementaires, dont Étienne Tshisekedi, rédigent une lettre ouverte dénonçant la corruption et la dérive autoritaire de Mobutu.
- Ce groupe devient le noyau de l’opposition politique, réclamant une réforme démocratique.
- En 1982, ces dissidents fondent l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), qui devient la principale force d’opposition au régime.

2.2. Les Premières Mutineries et Révoltes Urbaines
- En 1982, des mutineries éclatent dans l’armée, les soldats, mal payés, se révoltent et se livrent au pillage.
- En 1983, les étudiants de l’Université de Kinshasa manifestent contre le régime, mais la répression est brutale.
- L’Église catholique, influente au Zaïre, critique de plus en plus ouvertement Mobutu.

2.3. Le Discours sur le “Mal Zaïrois” : Une Reconnaissance Tardive
- En 1984, face à la montée de la contestation, Mobutu prononce un discours où il reconnaît l’existence du “mal zaïrois” : la corruption et l’incompétence.
- Mais au lieu de réformer le système, il accentue la répression.
- Les opposants sont emprisonnés, exilés ou éliminés.

3. Les Pressions Internationales et l’Isolement Progressif
3.1. La Fin de la Guerre Froide : Un Allié Devenu Encombrant
- Avec la chute du mur de Berlin en 1989 et l’effondrement de l’URSS, Mobutu perd son importance stratégique pour les États-Unis.
- Washington, qui soutenait Mobutu en tant que rempart contre le communisme, commence à exiger des réformes démocratiques.
- Les puissances européennes, notamment la Belgique, adoptent une attitude critique à l’égard de Mobutu.
- En 1990, la Belgique suspend son aide au développement après le massacre des étudiants de l’Université de Lubumbashi.

3.2. La Conférence Nationale Souveraine (1991-1992) : Une Démocratisation Détournée
- Sous la pression internationale, Mobutu accepte l’organisation d’une Conférence Nationale Souveraine (CNS) en 1991.
- Cette conférence, censée instaurer la démocratie, devient rapidement un champ de bataille entre le régime et l’opposition.
- Étienne Tshisekedi, leader de l’opposition, est désigné Premier ministre, mais Mobutu refuse de céder le pouvoir.
- La CNS est sabotée par le régime, et Mobutu maintient son contrôle sur l’armée et les finances.
4. Le Système de Répression : Une Violence Ciblée mais Inefficace
4.1. Une Répression Sélective et Impitoyable
- Mobutu utilise les services de sécurité pour surveiller et intimider ses opposants.
- Les journalistes critiques sont arrêtés, torturés ou contraints à l’exil.
- Les milices pro-Mobutu, notamment la Garde Présidentielle, terrorisent les quartiers populaires pour étouffer toute révolte.

4.2. Le Climat de Terreur et la Propagande
- Les rumeurs de complots, souvent fabriquées par le régime, servent à justifier les purges.
- La propagande d’État présente Mobutu comme le seul garant de la stabilité nationale.
- Mais la population, appauvrie, devient de plus en plus cynique face aux discours officiels.
5. L’Effondrement du Pouvoir de Mobutu : Une Dictature à l’Agonie
5.1. Les Mutineries de 1991 et 1993 : L’Armée se Soulève
- En 1991, les soldats de Kinshasa, non payés depuis des mois, se révoltent, pillent les commerces et affrontent les forces loyalistes.
- En 1993, une nouvelle mutinerie éclate lorsque des soldats reçoivent des billets de banque sans valeur.
- Ces mutineries montrent l’incapacité du régime à maintenir l’ordre, même au sein de l’armée.

5.2. Le Zaïre Fracturé : L’Émergence des Pouvoirs Locaux
- Les gouverneurs de province, jadis fidèles à Mobutu, commencent à ignorer ses directives.
- Les provinces minières, notamment le Katanga, deviennent des enclaves autonomes, échappant à l’autorité de Kinshasa.
- Le dollar américain devient la principale monnaie dans les régions frontalières, signe de la perte de contrôle de l’État.
5.3. Mobutu Isolé sur la Scène Internationale
- En 1995, la France, sous Jacques Chirac, se distancie de Mobutu.
- Les États-Unis, sous Bill Clinton, cessent de soutenir le dictateur, qualifiant son régime de “prédateur”.
- En Afrique, les voisins du Zaïre, notamment l’Ouganda et le Rwanda, voient en Mobutu un obstacle à la stabilité régionale.

Une Dictature en Décomposition
Les années 1980 et 1990 marquent le crépuscule du régime Mobutiste. Jadis tout-puissant, Mobutu se retrouve isolé, son régime gangrené par la corruption, miné par l’opposition et abandonné par ses alliés internationaux. La pauvreté, la répression et la mauvaise gestion plongent le pays dans le chaos. Alors que la contestation gagne du terrain, une nouvelle menace se prépare à l’est du pays : la rébellion de Laurent-Désiré Kabila.
Paul Lamier Grandes Lignes