Le Crépuscule d’une Dictature
Le 17 mai 1997, Mobutu Sese Seko fuit le Zaïre, mettant fin à plus de trois décennies de règne autoritaire. Ce départ précipité marque l’effondrement d’un régime autrefois tout-puissant, rongé par la corruption, affaibli par les révoltes et abandonné par ses alliés internationaux. Mais cette chute n’est pas le fruit du hasard. Elle est le résultat de plusieurs années de crise économique, de contestation politique et de pressions internationales. Mais surtout, elle est précipitée par une rébellion menée par Laurent-Désiré Kabila, soutenue par les puissances voisines : le Rwanda, l’Ouganda et, plus tard, l’Angola.

1. Le Contexte de la Rébellion : Le Kivu, Terrain de Tensions
1.1. La Crise des Réfugiés Rwandais (1994-1996)
- En 1994, après le génocide au Rwanda, près de 1,5 million de réfugiés hutu fuient vers l’est du Zaïre.
- Ces réfugiés comprennent des civils, mais aussi des milices extrémistes hutu (Interahamwe) responsables du génocide.
- Les camps de réfugiés, situés au Kivu, deviennent des bases arrières pour ces milices qui continuent leurs opérations contre le Rwanda.
- Les tensions augmentent entre les populations locales et les réfugiés, mais aussi entre les Tutsi zaïrois (Banyamulenge) et les groupes hutu.

1.2. Les Banyamulenge et la Répression de Mobutu
- Les Banyamulenge, une communauté tutsi vivant au Kivu depuis des générations, sont perçus comme des étrangers par le régime de Mobutu.
- En 1996, le gouverneur du Sud-Kivu ordonne l’expulsion de tous les Banyamulenge, déclenchant un soulèvement armé.
- Ces Banyamulenge se joignent rapidement à une coalition rebelle dirigée par Laurent-Désiré Kabila, bénéficiant du soutien militaire du Rwanda.

1.3. Le Rôle des Voisins : Rwanda et Ouganda
- Le Rwanda de Paul Kagame, dirigé par le Front Patriotique Rwandais (FPR), voit en cette crise une menace sécuritaire.
- Le Rwanda et l’Ouganda décident de soutenir militairement la rébellion de Kabila pour renverser Mobutu.
- En octobre 1996, les premières attaques rebelles commencent dans l’est du Zaïre.

2. La Naissance de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL)
2.1. Laurent-Désiré Kabila : L’Ancien Maquisard Redevenu Leader
- Laurent-Désiré Kabila, un ancien militant marxiste qui avait combattu aux côtés de Che Guevara dans les années 1960, réapparaît sur la scène politique.
- Peu connu en dehors du Kivu, il devient le visage de la rébellion grâce au soutien militaire et diplomatique du Rwanda.
- Kabila crée l’AFDL, une coalition de quatre groupes rebelles, dont les Banyamulenge, mais il reste le chef incontesté.

2.2. Le Soutien Militaire de la Région
- Le Rwanda et l’Ouganda fournissent des armes, des troupes et des conseillers militaires à l’AFDL.
- Les troupes rwandaises, expérimentées après le génocide, assurent l’essentiel des combats.
- Plus tard, l’Angola et la Tanzanie se joignent au soutien de Kabila, voyant en Mobutu une menace pour leur propre stabilité.

3. La Marche de l’AFDL sur Kinshasa : Une Progression Inexorable
3.1. La Conquête de l’Est : Une Avancée Fulgurante
- En quelques mois, les troupes de l’AFDL balayent les positions des Forces Armées Zaïroises (FAZ), démoralisées et mal équipées.
- Kisangani, la grande ville de l’est, tombe aux mains des rebelles en mars 1997.
- Les soldats zaïrois, mal payés et souvent abandonnés par leurs officiers, se livrent au pillage avant de fuir.

3.2. La Crise Humanitaire des Réfugiés Hutu
- Les camps de réfugiés hutu dans l’est du Zaïre deviennent une cible pour l’AFDL.
- Des milliers de réfugiés sont massacrés par les troupes de Kabila et leurs alliés rwandais.
- L’ONU dénonce des “violations massives des droits de l’homme”, mais aucune intervention internationale n’est décidée.

3.3. La Fuite de Mobutu : Un Dictateur Abandonné
- En mai 1997, l’AFDL atteint Kinshasa. Mobutu, malade et isolé, s’enfuit en exil au Maroc.
- Le 17 mai, Kabila entre dans la capitale sans rencontrer de résistance.
- Mobutu meurt quelques mois plus tard à Rabat, laissant derrière lui un pays ruiné.

4. Kabila à Kinshasa : Un Nouveau Maître pour un Pays Dévasté
4.1. La Proclamation de la République Démocratique du Congo
- Laurent-Désiré Kabila abolit le nom de “Zaïre” et rétablit la “République Démocratique du Congo” (RDC).
- Il se proclame président et suspend la constitution, concentrant tous les pouvoirs entre ses mains.
- Les institutions de la transition, mises en place par la Conférence Nationale Souveraine (CNS), sont dissoutes.

4.2. Un Régime Autoritaire dès les Premiers Jours
- Kabila gouverne par décrets, refusant de dialoguer avec les anciens leaders de l’opposition, comme Étienne Tshisekedi.
- Les partis politiques sont interdits, les manifestations réprimées, et les opposants arrêtés.
- Les soldats rwandais, restés dans le pays comme “conseillers”, contrôlent les services de sécurité.

4.3. Les Alliés de la Rébellion deviennent une Menace
- Les Tutsi Banyamulenge, qui ont été les principaux alliés de Kabila, sont bientôt perçus comme une force d’occupation.
- Les tensions entre Kabila et ses anciens alliés rwandais et ougandais augmentent.
- En 1998, Kabila ordonne aux troupes rwandaises de quitter la RDC, déclenchant une nouvelle guerre.

Le président zaïrois Mobutu Sese Seko (à droite) s’adresse à la presse après avoir reçu le nouveau Premier ministre zaïrois, Étienne Tshisekedi, le 4 avril à la résidence présidentielle de Kinshasa, au Zaïre.
5. La Guerre des Grands Lacs : Un Nouveau Conflit qui Plonge le Congo dans le Chaos
5.1. La Rébellion du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD)
- En août 1998, une rébellion éclate dans l’est de la RDC, menée par d’anciens alliés de Kabila, avec le soutien du Rwanda et de l’Ouganda.
- Le pays se fracture, avec des territoires contrôlés par des groupes rebelles et d’autres par le gouvernement de Kabila.

5.2. Une Guerre Régionale Dévastatrice
- La RDC devient le champ de bataille d’une guerre régionale impliquant neuf pays africains.
- L’Angola, le Zimbabwe et la Namibie soutiennent Kabila, tandis que le Rwanda et l’Ouganda appuient les rebelles.
- Les combats font des millions de morts, en grande majorité des civils, et le pays sombre dans le chaos.

5.3. L’Isolement de Kabila et son Assassinat
- En janvier 2001, Laurent-Désiré Kabila est assassiné par l’un de ses gardes du corps, dans des circonstances restées obscures.
- Son fils, Joseph Kabila, lui succède à la présidence, héritant d’un pays en ruines.

Une Chute Éclatante, un Héritage de Violence
Le 17 mai 1997, la chute de Mobutu marque la fin d’une ère de dictature corrompue et répressive, mais elle n’apporte pas la paix. Le Congo, devenu République Démocratique du Congo, sombre rapidement dans une nouvelle guerre, où les anciennes divisions sont exacerbées. Laurent-Désiré Kabila, porté au pouvoir par la rébellion, se révèle incapable de stabiliser le pays. La promesse de changement se transforme en désillusion. Mobutu est parti, mais les pratiques de prédation et de violence continuent.
Paul Lamier Grandes Lignes