Un risque d’engrenage militaire par procuration
L’attaque lancée par Israël contre l’Iran le 13 juin pourrait marquer un tournant dangereux pour les États-Unis. Ce n’est pas la première fois qu’un allié pousse Washington vers l’escalade, mais la situation actuelle présente une combinaison de risques militaires, politiques et stratégiques sans issue claire. L’administration Trump, en reprenant les commandes de la Maison-Blanche, se retrouve désormais confrontée à une pression croissante de la part de Tel-Aviv. Et cette pression pourrait l’entraîner dans une guerre qu’elle n’a ni initiée ni préparée.
Une opération israélienne à double tranchant
L’attaque israélienne a compromis, de manière presque irréversible, les négociations nucléaires que les États-Unis tentaient de relancer depuis des mois. Elle expose aussi directement les 40 000 soldats américains stationnés dans la région à des représailles iraniennes. Pour Washington, cela revient à s’approcher d’une guerre par alliance, sans l’avoir formellement choisie.
La tentation est grande, chez certains conseillers pro-israéliens ou figures politiques néo-conservatrices, de pousser Trump à soutenir Israël par des frappes ciblées sur les sites nucléaires iraniens. Mais cette logique de soutien automatique ne correspond ni à la ligne affichée par Trump durant son premier mandat, ni aux intérêts stratégiques de long terme des États-Unis.
Le précédent irakien comme avertissement
Les comparaisons avec l’invasion de l’Irak en 2003 s’imposent naturellement. Ce conflit, lancé au nom de la non-prolifération nucléaire, a débouché sur un chaos durable, une guerre civile, et paradoxalement, sur le renforcement de l’influence iranienne dans la région. Il est aujourd’hui largement reconnu que cette intervention fut une erreur majeure, tant sur le plan politique que militaire. Elle avait été fondée sur des hypothèses erronées, et s’était soldée par la montée en puissance de groupes comme Daech, nés du vide créé par la chute de Saddam Hussein.
L’illusion des frappes limitées
Même en envisageant une réponse américaine limitée à des frappes aériennes, le scénario reste peu convaincant. L’Iran, avec ses montagnes, ses défenses antiaériennes et son expérience de la guerre asymétrique, ne présente pas les mêmes vulnérabilités que d’autres théâtres d’opération. La campagne contre les houthistes au Yémen, menée avec des moyens technologiques et financiers considérables, s’est soldée par un échec relatif, coûteux et politiquement embarrassant. Rien n’indique qu’une offensive contre l’Iran produirait de meilleurs résultats.
Et si les frappes ne suffisaient pas, la logique de l’escalade pourrait pousser Washington à envisager un déploiement de troupes au sol, malgré les promesses initiales d’une opération brève. Le précédent afghan illustre bien comment une intervention limitée peut se transformer en occupation longue, coûteuse en vies humaines et politiquement intenable.
L’option diplomatique marginalisée
Même dans l’hypothèse où les infrastructures nucléaires iraniennes seraient en grande partie détruites, cette opération ne ferait que retarder le programme, sans l’arrêter. Les compétences scientifiques, les ressources humaines, et la volonté politique de Téhéran resteraient intactes. Et après une telle agression, il ne fait aucun doute que la République islamique redoublerait d’efforts pour obtenir l’arme nucléaire comme garantie ultime de survie.
Historiquement, la diplomatie ou dans certains cas, une posture d’indifférence a été plus efficace que la confrontation directe pour gérer la question nucléaire iranienne. Les États-Unis ont réussi à contenir bien des menaces sans recourir à la guerre, et l’Iran, malgré sa rhétorique, ne représente pas une menace existentielle directe pour les Américains.
L’erreur stratégique d’un changement de régime
La croyance selon laquelle une intervention militaire permettrait de provoquer un changement de régime à Téhéran relève davantage de l’idéologie que de la stratégie. L’exemple irakien, mais aussi libyen ou syrien, démontre que la chute d’un régime autoritaire ne débouche pas nécessairement sur la stabilité. Au contraire, elle peut provoquer un effondrement de l’État et ouvrir la voie au chaos.
Même dans un contexte de tensions internes, une attaque étrangère tend à renforcer les régimes, en fédérant la population contre l’agresseur. Déjà, des manifestations en Iran montrent un ralliement à la posture de défense nationale, et non une opposition aux dirigeants.
L’un des arguments politiques majeurs de Donald Trump en matière de politique étrangère est d’avoir évité toute guerre majeure durant son premier mandat. Se laisser entraîner dans un conflit contre l’Iran reviendrait à renier cet héritage. Ce serait aussi une contradiction profonde pour un président qui a toujours dénoncé les “aventures militaires inutiles” de ses prédécesseurs.
Dans un paysage électoral polarisé, mais marqué par une lassitude profonde vis-à-vis des guerres interminables, s’engager militairement contre Téhéran serait non seulement une erreur stratégique, mais aussi un pari politique risqué.
Paul Lamier Grandes Lignes