Avec la découverte d’un gisement majeur à Doropo, la Côte d’Ivoire accélère sa mutation économique. Mais la ruée vers l’or ne va pas sans défis sociaux, sécuritaires et environnementaux.
Le 16 juin 2025, les autorités ivoiriennes ont officialisé une découverte qui pourrait reconfigurer durablement le paysage économique du pays : un gisement aurifère de plus de 100 tonnes à Doropo, à la frontière burkinabée. Ce nouveau site, exploité par la firme australienne Resolute Mining, s’ajoute à une série de projets miniers majeurs révélés ces dernières années, confirmant la volonté d’Abidjan de hisser l’or au rang de pilier économique national.
Alors que la croissance ivoirienne reste vulnérable aux cours du cacao, la diversification par l’or est perçue comme une bouée de stabilité et d’ambition. Mais à quels coûts sociaux, géopolitiques et environnementaux ?
Une trajectoire ascendante, portée par l’instabilité régionale
Depuis 2015, la production annuelle d’or de la Côte d’Ivoire a plus que doublé, passant de 25 à 58 tonnes. Cette dynamique est largement liée à l’arrivée d’acteurs étrangers, principalement australiens et canadiens, séduits par la stabilité politique relative du pays en contraste avec le Burkina Faso et le Mali voisins, où les coups d’État militaires et les révisions des codes miniers ont refroidi les investisseurs.
À Doropo, Resolute Mining prévoit d’investir plus de 457 millions d’euros pour une exploitation à horizon 2026, avec une durée de vie estimée à 20 ans. À terme, l’État ivoirien espère engranger près de 300 milliards de francs CFA de recettes fiscales pour cette seule mine.
Le pari industriel d’Abidjan : croissance ou dépendance ?
L’exécutif ivoirien affiche une stratégie claire : s’extraire d’un modèle de croissance centré sur l’agriculture en développant son potentiel minier. L’objectif est double : capter de nouvelles recettes fiscales et structurer un tissu industriel moderne, capable d’absorber la pression démographique.
Mais cette industrialisation accélérée soulève des questions de dépendance. Car si la Côte d’Ivoire contrôle son cadre légal, elle reste dépendante des majors étrangères pour l’investissement, l’exploitation et la commercialisation du minerai. En somme, l’or reste extrait localement, mais valorisé ailleurs.
Un gisement stratégique dans une zone à hauts risques
Le choix de Doropo ne relève pas seulement de considérations géologiques. Située dans la région du Bounkani la plus pauvre du pays cette zone cristallise les tensions sécuritaires, en raison de sa proximité avec le Burkina Faso. La région est infiltrée par des groupes armés, extrémistes ou criminels, qui ont notamment investi l’orpaillage illégal.
Selon un rapport de l’ISS (Institut d’études de sécurité), l’or est devenu une source majeure de financement pour ces groupes. Le contrôle de sites artisanaux permet à ces derniers de prélever des taxes, de recruter et de consolider leur influence dans les zones délaissées par l’État.
Dans ce contexte, le projet industriel de Doropo prend une dimension géopolitique : il s’agit d’enrayer l’économie parallèle pour reprendre le contrôle de la frontière nord. Mais ce réinvestissement sécuritaire passera aussi par l’intégration sociale.
Développement local : un effet d’annonce ou une vraie redistribution ?
Le gouvernement promet la création de 3 000 emplois directs et 10 000 emplois indirects. Mais dans une région marquée par un taux de pauvreté supérieur à 70 %, les attentes sont immenses. La loi impose aux compagnies minières de recruter localement, mais la pénurie de main-d’œuvre qualifiée oblige souvent à chercher ailleurs, alimentant frustrations et tensions.
Les habitants réclament des infrastructures concrètes : écoles, hôpitaux, routes. Sans une politique inclusive, les projets miniers risquent de creuser les fractures existantes. Comme le souligne William Assanvo (ISS), « la marginalisation, même dans un contexte de croissance, alimente la radicalisation ».
Artisanat minier vs industrie : un arbitrage politique majeur
La Côte d’Ivoire est confrontée à un dilemme structurel : formaliser l’orpaillage artisanal qui produirait plus de 40 tonnes par an, selon Swissaid ou miser sur l’industrie, perçue comme plus rentable, moderne et encadrable.
À ce jour, le gouvernement a opté pour la fermeté. Les activités artisanales sont traquées, au nom de la lutte contre le financement du terrorisme, la pollution, le travail des enfants et l’évasion fiscale. Pourtant, plusieurs experts, dont l’anthropologue Muriel Champy, plaident pour une formalisation encadrée de ce secteur, afin d’en maximiser les retombées locales.
Une richesse à structurer pour éviter l’impasse
La découverte du gisement de Doropo offre une opportunité majeure pour la Côte d’Ivoire : consolider son statut de puissance économique régionale, diversifier ses revenus, créer des emplois et stabiliser ses zones marginalisées. Mais elle pose aussi une série de questions essentielles : qui profitera de cette richesse ? Comment éviter la captation par les élites ? Quel équilibre entre impératif sécuritaire, impératif économique et justice sociale ?
En misant sur l’or, Abidjan ouvre une nouvelle page de son développement. À condition que la gestion soit transparente, inclusive et tournée vers le long terme. Car mal encadrée, la ruée vers l’or peut aussi devenir un facteur d’instabilité, d’inégalités et de tensions accrues.
Adonis Kanga Grandes Lignes