Hausse des droits de douane, réduction de l’aide, fermeture de l’USAID : la stratégie unilatérale de Washington pousse les pays africains à resserrer leurs liens commerciaux avec Pékin. En filigrane, un rééquilibrage mondial de l’influence est en marche.
Une fenêtre géopolitique ouverte par la politique douanière américaine
Prévue pour le 1er août puis reportée au 7, l’entrée en vigueur d’une nouvelle grille tarifaire imposée par les États-Unis bouleverse les équilibres commerciaux avec l’Afrique. Près de 70 pays africains sont désormais concernés par une hausse brutale des droits de douane, dans certains cas jusqu’à 30 %.
Ce changement s’inscrit dans une stratégie plus large portée par Donald Trump : redéfinir les rapports commerciaux selon une logique bilatérale, protectionniste et conditionnée à des avantages directs pour les États-Unis. Mais sur le continent africain, cette orientation se heurte à une réalité : Washington semble se replier au moment même où la Chine, elle, intensifie son offensive diplomatique et économique.
Pékin saisit l’opportunité
En juin, Pékin a annoncé la suppression quasi totale des droits de douane sur les produits en provenance de 53 pays africains (à l’exception de l’Eswatini, fidèle à Taïwan). Cette décision, présentée comme un « geste de solidarité », intervient comme un contre-pied clair à la posture américaine.
Pour la Chine, qui est déjà le premier partenaire commercial du continent, il s’agit de consolider un avantage stratégique : s’affirmer comme une alternative stable, prévisible et sans condition politique frontale. De nombreux analystes y voient une “bouée de sauvetage” tendue à des pays africains confrontés à des hausses de prix à l’exportation vers les États-Unis.
Un repositionnement forcé de l’Afrique
La multiplication des barrières tarifaires américaines sur les produits agricoles, textiles et industriels affecte directement plusieurs économies du continent, parmi lesquelles le Nigeria, l’Éthiopie, la Libye, la Tunisie ou encore l’Afrique du Sud. À cela s’ajoute une série de mesures hostiles : réduction de l’aide étrangère, fermeture de programmes comme l’USAID, restrictions de visa ciblant plusieurs pays clés.
Face à ces signaux de désengagement, l’Afrique explore d’autres pistes. Le développement des échanges Sud-Sud, l’ouverture vers les marchés asiatiques, ou encore l’intégration régionale via la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine), prennent une importance croissante.
Une perte d’influence pour Washington ?
« Trump n’a jamais cherché à se faire aimer des Africains », rappelle un diplomate cité par CNN. En misant sur une stratégie commerciale dure et un recul de la coopération, l’administration américaine expose son leadership à une érosion rapide.
Selon Neo Letswalo, chercheur sud-africain interrogé par la chaîne américaine, “plus les pays africains s’émancipent des États-Unis, plus la Chine devient une alternative incontournable”. Cette dynamique pourrait non seulement affaiblir la position commerciale de Washington, mais aussi accélérer son isolement sur le plan diplomatique.
Vers un basculement stratégique durable ?
La politique douanière de Trump, censée renforcer l’économie américaine, pourrait au contraire renforcer l’ancrage chinois sur le continent. Pékin ne se contente plus d’investir dans les infrastructures ou de fournir des financements. Il propose désormais une alternative commerciale complète, avec des exonérations ciblées et des messages politiques clairs en faveur du multilatéralisme.
Pour les pays africains, le choix devient de plus en plus pragmatique : là où Washington exige et conditionne, la Chine propose et facilite. En capitalisant sur les erreurs stratégiques américaines, Pékin accélère une transformation des alliances commerciales sur le continent.
Adonis Kanga Grandes Lignes