15 Juin 2025, dim

Antoinette Sassou-Nguesso : justice, diplomatie et influence au cœur d’un dossier à tiroirs

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L’émission d’un mandat d’amener par la justice française à l’encontre d’Antoinette Sassou-Nguesso, Première dame du Congo-Brazzaville, suscite des interrogations sur le respect des principes du droit international et la possible instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Cette affaire met en lumière les tensions entre souveraineté nationale, immunités diplomatiques et relations franco-africaines.

À quelques semaines d’une visite d’État annoncée entre la France et le Congo-Brazzaville, la justice française relance l’affaire des “biens mal acquis”, en émettant un mandat d’amener contre Antoinette Sassou-Nguesso. Une décision aux airs de déjà-vu, qui soulève de sérieuses interrogations sur l’indépendance de la justice et la constance de la diplomatie française sur le continent africain.

Une affaire vieille de 18 ans… et toujours sans issue claire

Lancée en 2007 par les ONG Transparency International et Sherpa, l’enquête sur les biens dits « mal acquis » visait initialement plusieurs chefs d’État africains et leurs familles. Le président Denis Sassou-Nguesso, son entourage, et d’autres dirigeants tels que Teodoro Obiang (Guinée équatoriale) et feu Omar Bongo (Gabon) sont depuis régulièrement cités dans cette affaire aux ramifications complexes.

Mais dix-huit ans plus tard, aucune condamnation définitive ne concerne les dirigeants congolais. Les enquêtes s’étirent, les procédures s’enlisent, et pourtant, comme dans un mauvais feuilleton politique, le dossier ressurgit à chaque moment diplomatique sensible.

Une relance de l’affaire aux allures de scénario connu

Le 4 mars 2025, Antoinette Sassou-Nguesso quitte discrètement Paris après avoir été informée de l’existence d’un mandat d’amener émis à son encontre par un juge d’instruction français. Elle est convoquée dans le cadre de l’affaire dite des « biens mal acquis », initiée en 2007 et toujours en cours d’instruction.

L’épisode n’est pas sans rappeler une précédente péripétie : en 2015, à la veille de l’élection présidentielle congolaise, la Première dame avait déjà été visée par une perquisition dans un appartement parisien. Là encore, à l’approche d’un moment politique majeur, l’affaire refaisait surface. Une récurrence qui questionne : pourquoi ces actions judiciaires émergent-elles systématiquement à la veille d’élections ou de visites d’État ?

Immunité des dirigeants en exercice : que dit le droit international ?

L’affaire Antoinette Sassou-Nguesso met en lumière une zone délicate du droit international : celle des immunités dont bénéficient les chefs d’État en exercice et les membres de leur entourage proche. En droit international coutumier, il est établi qu’un chef d’État en fonction bénéficie d’une immunité absolue de juridiction pénale devant les juridictions étrangères. Ce principe découle du respect de la souveraineté des États : il interdit à une juridiction nationale de poursuivre un autre État à travers son représentant suprême. En pratique, cela signifie que le président Denis Sassou-Nguesso ne peut faire l’objet d’aucune poursuite judiciaire en France tant qu’il est en exercice, sauf à renoncer explicitement à cette immunité. C’est pourquoi les investigations ouvertes dans le cadre des « biens mal acquis » l’ont jusqu’à présent contourné en tant que personne.

Mais qu’en est-il de son épouse, Première dame, et membre de son cercle familial immédiat ? C’est là que la situation devient juridiquement plus complexe. Si le droit international ne prévoit pas une immunité automatique pour les proches d’un chef d’État, il leur reconnaît néanmoins certains privilèges dans un cadre diplomatique. La Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques référence majeure en la matière prévoit à son article 37 que les membres de la famille d’un agent diplomatique, à condition qu’ils fassent partie de son ménage, bénéficient des privilèges et immunités applicables, notamment lorsqu’ils accompagnent ou précèdent une mission officielle.

Dans le cas présent, Madame Antoinette Sassou-Nguesso séjournait à Paris dans le cadre de la préparation d’une visite d’État officielle de son époux, prévue pour quelques semaines plus tard. Elle n’était donc pas en déplacement privé, mais bien en mission de représentation préalable, participant à la mise en place logistique et protocolaire d’un séjour d’État. À ce titre, elle pouvait être considérée, par analogie avec les dispositions de la Convention de Vienne, comme bénéficiant d’une immunité fonctionnelle liée à la mission présidentielle en cours.

L’émission d’un mandat d’amener à son encontre par la justice française soulève ainsi une question de conformité au droit international. Si la Première dame était en mission diplomatique, même préparatoire, alors elle relevait du régime d’immunité applicable aux membres de la délégation présidentielle, et ne pouvait légalement être contrainte de comparaître. En tant qu’État signataire de la Convention de Vienne, la France est tenue par ses engagements internationaux, et sa propre Constitution notamment l’article 55  précise que les traités internationaux régulièrement ratifiés priment sur le droit interne. En d’autres termes, aucune disposition du droit français ne saurait légitimement justifier une atteinte à cette immunité, dès lors que la mission diplomatique était en cours.

Dans ce contexte, le mandat d’amener n’apparaît pas seulement discutable sur le plan procédural : il peut être lu comme une entorse au cadre juridique international, voire comme une remise en cause de principes fondamentaux du respect entre États souverains.

Un pouvoir judiciaire français sous influence ?

Officiellement, la justice française agit de manière autonome. Mais cette indépendance reste sujette à débat. La France ne dispose pas d’un véritable pouvoir judiciaire  au sens strict comme dans les systèmes de type anglo-saxon. Le Conseil supérieur de la magistrature reste en partie rattaché à l’exécutif, et le ministre de la Justice est un membre à part entière du gouvernement.

Justice et géopolitique : derrière la procédure, une pression déguisée ?

Derrière l’apparente neutralité juridique de l’affaire des biens mal acquis, l’émission d’un mandat d’amener contre Antoinette Sassou-Nguesso soulève des interrogations profondes sur le sens réel de cette procédure. Si l’enquête, initiée par des ONG dès 2007, a pour objectif affiché la lutte contre l’enrichissement illicite, sa temporalité et sa cible interpellent. Pourquoi relancer une action aussi lourde contre la Première dame du Congo quelques semaines avant une visite d’État de son époux à Paris ? Pourquoi viser une personnalité protégée par le droit international, alors qu’aucune décision de justice définitive n’a été rendue depuis près de deux décennies dans ce dossier ?

La coïncidence n’échappe à personne. Ce mandat n’intervient ni au hasard, ni dans un vide diplomatique. Il semble s’inscrire dans une dynamique de pression, à un moment où la France redéfinit son rôle en Afrique et perd du terrain face à d’autres puissances. L’affaire Antoinette Sassou-Nguesso devient alors un signal politique, un rappel silencieux que certains leviers d’influence sont toujours activables.

Pour nombre d’observateurs africains et européens, cette relance judiciaire n’a rien de fortuit. Elle s’inscrit dans un schéma plus large : celui d’une justice sélective, qui cible certains États à des moments précis, là où des intérêts géopolitiques sont en jeu. Il ne s’agit pas de remettre en cause les principes de transparence ou de bonne gouvernance. Mais le caractère systématiquement asymétrique de ces affaires est frappant.

Depuis près de 18 ans, les enquêteurs cherchent à établir l’origine douteuse de certains biens immobiliers liés à des dirigeants africains. Mais aucune condamnation définitive n’a été rendue dans le cas du Congo. Le dossier ressurgit par vagues, presque comme une série politique, à chaque moment stratégique.

Dans les cercles diplomatiques africains, on parle désormais ouvertement de chantage soft, de néocolonialisme procédural, et d’un usage de la justice comme outil de pression sur des États souverains.

Une diplomatie française à l’épreuve de son propre affaiblissement

Cette affaire n’est pas qu’un fait judiciaire. Elle est aussi le reflet d’un changement de paradigme. La France perd du terrain en Afrique, tant militairement qu’économiquement. Après le départ de ses forces du Sahel, son influence diplomatique s’érode, et de nouveaux acteurs (Russie, Chine, Turquie) occupent l’espace.

Dans ce climat, les leviers de pouvoir deviennent plus discrets : contrôle narratif, justice transnationale, pression symbolique. Relancer un dossier judiciaire contre la Première dame congolaise quelques jours avant une rencontre bilatérale pourrait alors s’analyser comme un message voilé, un bras de fer travesti en vertu judiciaire.

Une affaire de principes, une question de respect

Rappelons enfin que les biens visés dans cette procédure appartiendraient, selon les enquêteurs, au chef de l’État en exercice ou à son épouse. Or, ces biens du fait de leur lien avec une figure investie d’une fonction souveraine  sont eux aussi protégés par le principe d’immunité.

La justice française ne peut, en théorie, ni ordonner la saisie de ces biens, ni convoquer leur propriétaire, sans violer le droit international. Et face à une procédure jugée contraire à ses droits, il était normal, pour Antoinette Sassou-Nguesso, de ne pas rester sur le territoire français.

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