Accusé de complicité avec le M23 et de tentative de coup d’État, l’ancien président congolais est jugé par contumace. Ses partisans dénoncent une manœuvre politique du régime Tshisekedi.
Un réquisitoire d’une sévérité inédite
À Kinshasa, la Haute cour militaire a entendu vendredi un réquisitoire qui restera dans les annales de la justice congolaise : le procureur militaire a requis la peine de mort contre Joseph Kabila, ancien chef de l’État (2001-2019), jugé par contumace pour « crimes de guerre », « trahison », et « organisation d’un mouvement insurrectionnel ». Le ministère public a également demandé 20 ans de prison pour « apologie de crimes de guerre » et 15 ans pour « complot ».
Depuis le levée du moratoire sur la peine capitale en 2024, la peine de mort est redevenue applicable en RDC, même si aucune exécution n’a encore eu lieu. Le symbole, lui, est fort : c’est la première fois qu’un ancien président congolais se retrouve visé par une telle sentence.
Kabila accusé de collusion avec le M23
Pour l’accusation, Joseph Kabila aurait noué des liens étroits avec le M23, mouvement rebelle soutenu par le Rwanda et qui contrôle aujourd’hui de vastes portions de l’Est du pays, dont les villes stratégiques de Goma et Bukavu.
Le ministère public l’accuse d’être l’un des initiateurs de l’Alliance fleuve Congo (AFC), branche politique du M23, et de porter une responsabilité individuelle dans les exactions commises par cette coalition armée dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu : homicides, viols, déplacements massifs.
Le procureur général, le général Lucien René Likulia, a affirmé que Kabila, « en intelligence avec le Rwanda », projetait de renverser le président Félix Tshisekedi avec l’appui de Corneille Nangaa, ancien président de la CENI, rallié lui aussi au M23 en 2023.
Un procès à forte dimension politique
Pour les partisans de Joseph Kabila, cette procédure n’a rien de judiciaire. Ferdinand Kambere, secrétaire général adjoint du PPRD, son parti, parle d’« un procès politique », estimant que le régime cherche à « persécuter un opposant » et à masquer ses propres échecs militaires et diplomatiques dans l’Est du pays.
La défense souligne par ailleurs que l’ancien président, qui a quitté la RDC fin 2023, ne bénéficie pas des conditions d’un procès équitable. Les provinces de l’Est Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri se sont néanmoins constituées parties civiles et réclament plusieurs milliers de dollars de dommages et intérêts.
Un ancien président toujours influent
Âgé de 53 ans, Joseph Kabila, réputé taiseux et discret, conserve une influence considérable au sein de l’appareil sécuritaire et politique congolais. Réapparu publiquement fin 2024 après des années de silence, il a violemment critiqué la gouvernance de son successeur Félix Tshisekedi. En avril, il avait même annoncé son intention de revenir par l’Est, une région désormais sous contrôle du M23.
Entre justice et rivalité politique
La sévérité des réquisitions illustre autant la gravité des accusations que la dimension politique du dossier. Le M23, appuyé par le Rwanda, défie depuis 2021 l’autorité de Kinshasa et a infligé de lourdes défaites à l’armée congolaise. Dans ce contexte, faire porter la responsabilité à Joseph Kabila, présenté comme un « complice » du mouvement rebelle, permet au pouvoir actuel de désigner un coupable et de détourner l’attention de ses propres difficultés.
Ce procès inédit marque une rupture dans l’histoire politique congolaise. En requérant la peine capitale contre Joseph Kabila, Kinshasa vise autant à juger un homme qu’à solder un héritage politique. Mais dans un pays miné par trente ans de conflits à l’Est, l’affaire ressemble aussi à un dangereux précédent : transformer la justice militaire en champ de bataille politique.
Paul Lamier Grandes Lignes












