Avec ses investissements industriels massifs, le milliardaire nigérian Aliko Dangote ambitionne de faire du continent africain un producteur net d’engrais, éliminant les importations d’ici 2028. Une révolution stratégique pour l’agriculture et l’économie africaine.
Le 27 juin 2025, à Abuja, lors des 32e assemblées générales annuelles d’Afreximbank, l’industriel Aliko Dangote a surpris l’auditoire par une promesse audacieuse : faire de l’Afrique un continent totalement autosuffisant en engrais d’ici 40 mois. « L’Afrique n’importera plus d’engrais de nulle part », a-t-il lancé, affirmant vouloir détrôner le Qatar comme premier producteur mondial d’urée.
Ce pari repose sur des bases concrètes. Depuis 2021, Dangote a mis en service, au Nigeria, une méga-usine d’urée d’une capacité annuelle de 3 millions de tonnes, pour un investissement de 2,5 milliards de dollars. Elle valorise les abondantes réserves de gaz naturel du pays pour produire de l’ammoniac, ingrédient clé dans la fabrication de l’urée.
Vers une reconfiguration du marché africain des engrais
L’ambition de Dangote intervient dans un contexte où le continent africain affiche une production d’engrais largement supérieure à sa consommation environ 30 millions de tonnes produites pour seulement 13 à 15 millions consommées. Malgré cela, l’Afrique continue d’importer massivement, notamment pour combler son déficit en engrais potassiques et azotés.
En Afrique de l’Ouest, par exemple, le chlorure de potassium (KCl), couramment appelé potasse, est l’engrais le plus importé. Il reste encore très peu produit localement. La mine de potasse Kola au Congo, développée par Kore Potash, représente l’un des projets les plus avancés dans ce domaine, avec une production annuelle attendue de 2,2 millions de tonnes à partir de 2029.
Si Dangote parvient à tripler sa capacité actuelle pour rivaliser avec Qatar Fertilizer Company (QAFCO), qui produit 5,6 millions de tonnes par an, cela permettrait à l’Afrique de renforcer considérablement son autonomie sur le segment des engrais azotés, qui dominent le marché mondial.
Une ambition soutenue mais pas sans obstacles
Des acteurs comme Indorama Eleme Fertilizer & Chemicals au Nigeria, ou OCP au Maroc pour les phosphates, participent également à cet essor. Toutefois, l’autosuffisance africaine totale implique des avancées sur plusieurs fronts : logistique, distribution locale, politique de subvention et, surtout, diversification de la production vers les engrais potassiques.
Autre défi : faire coïncider les investissements industriels avec les réalités agricoles du continent. Malgré les progrès de la filière, l’Afrique reste la région du monde où l’utilisation d’engrais par hectare est la plus faible. La productivité agricole y est souvent freinée par des facteurs comme la pauvreté rurale, l’insécurité et l’accès inégal aux intrants.
Un changement de paradigme économique
Si les projections se réalisent, la fin des importations massives d’engrais permettrait non seulement d’alléger la facture extérieure des États africains, mais aussi de renforcer leur souveraineté alimentaire. La promesse de Dangote s’inscrit dans un mouvement plus large : substituer des importations coûteuses par des chaînes de valeur locales, génératrices d’emplois et de croissance.
Les 40 prochains mois seront donc décisifs. Entre la montée en puissance des usines d’urée, les projets de potasse en Afrique centrale et les efforts de coordination continentale, l’Afrique peut se rêver non plus comme un marché captif, mais comme un acteur global de l’industrie des engrais.
Adonis Kanga Grandes Lignes