Entre méfiances de Kinshasa, attentes de l’opposition et pressions régionales, l’ancien président sud-africain joue les facilitateurs pour rapprocher des camps irréconciliables.
Une initiative sud-africaine aux allures de pari risqué
Du 3 au 6 septembre, la Fondation Thabo Mbeki organise à Johannesburg une conférence sur la paix et la sécurité en Afrique. Si l’événement entend aborder des questions régionales comme les défis sécuritaires de la SADC, c’est surtout la crise politique et militaire congolaise qui sera au cœur des discussions. Gouvernement, société civile, religieux, opposants, et même groupes armés : tous sont conviés. Une initiative ambitieuse, portée avec l’appui de l’ONG In Transformation Initiative (ITI), qui avait déjà œuvré à Pretoria en 2023 pour rapprocher l’opposition congolaise.
Les coulisses d’un projet né de la société civile
À l’origine, l’idée n’est pas directement venue de Thabo Mbeki, mais de jeunes militants congolais de la société civile qui, en mai dernier, avaient plaidé en Afrique du Sud pour une médiation inclusive. L’objectif : offrir un espace de discussion sans pression, à l’extérieur du pays, afin de favoriser des échanges libres sur les causes profondes du conflit.
Si les organisateurs insistent sur le caractère « informel » de la rencontre, pas de résolutions ni d’accord final, ils espèrent ouvrir la voie à un dialogue national plus structuré, réclamé depuis des mois par les religieux et une partie de la classe politique congolaise.
Une liste d’invités aussi large que sensible
Les invitations reflètent la volonté d’embrasser toutes les sensibilités. Côté religieux, Donatien Nshole (Cenco) et Eric Nsenga (ECC) sont attendus. La société civile sera représentée par des figures comme Jean-Jacques Lumumba et Bienvenu Matumo (Lucha).
Sur le plan politique, les poids lourds de l’opposition sont conviés : Joseph Kabila, Moïse Katumbi, Martin Fayulu, Seth Kikuni ou encore Antipas Mbusa Nyamwisi. Même les acteurs armés, à l’image de Corneille Nangaa (Alliance Fleuve Congo, allié du M23) et de Thomas Lubanga (CRP, actif en Ituri), figurent sur la liste.
Du côté du pouvoir, Vital Kamerhe, président de l’Assemblée nationale, et Désiré Cashmir Eberande, conseiller spécial du président Tshisekedi, sont également invités.
Les réticences de Kinshasa face à Mbeki
Mais l’initiative suscite de la méfiance au sommet de l’État congolais. La présidence accuse l’ancien président sud-africain d’avoir une lecture défavorable à Félix Tshisekedi et de rester trop proche de Joseph Kabila. Ses critiques publiques sur « l’ethnicisation du pouvoir » et sur le procès intenté à l’ancien chef d’État, menacé de la peine de mort, n’ont pas arrangé les choses.
Pour Kinshasa, Mbeki donne l’impression de servir de tribune à une opposition fragilisée mais déterminée à se réorganiser.
L’expérience d’un médiateur aguerri
Malgré ces critiques, Thabo Mbeki conserve une solide légitimité en matière de médiation africaine. Artisan des accords de Sun City en 2002, qui avaient permis un partage du pouvoir en RDC, il reste un symbole des négociations réussies en Afrique, notamment pour sa contribution à la fin de l’apartheid. Son credo : les solutions africaines aux crises africaines. À ce titre, il veut offrir aux Congolais un cadre où les débats leur appartiennent, loin des capitales occidentales comme Washington ou Doha, accusées de mener des processus « déterritorialisés ».
Entre opportunité et incertitude
Reste à savoir si l’ensemble des invités feront le déplacement jusqu’à l’hôtel Mount Grace, dans les montagnes du Magaliesburg. La conférence pourrait n’être qu’un tour de table symbolique. Mais elle pourrait aussi marquer le premier pas d’un retour vers un dialogue inclusif, dans un pays miné par la guerre à l’Est, les fractures politiques et les rivalités personnelles.
En choisissant de tendre la main aux différents camps, Thabo Mbeki se place une nouvelle fois dans le rôle du passeur : celui qui tente de réconcilier l’inconciliable, quitte à s’attirer les foudres de Kinshasa.
Paul Lamier Grandes Lignes












