Lecture 06 min. Publié le 30 octobre 2025
Après la chute de la ville, les Forces de soutien rapide ont exécuté 460 civils dans le dernier hôpital en activité. Le massacre, d’une ampleur inédite, symbolise l’effondrement total de la protection des civils au Soudan.
L’hôpital devenu champ d’exécution
El-Fasher, capitale du Nord-Darfour, est tombée aux mains des Forces de soutien rapide (FSR) le 28 octobre, après plus de dix-huit mois de siège. Le lendemain, les paramilitaires ont pris d’assaut l’hôpital saoudien le dernier établissement encore en service dans la ville et exécuté 460 patients et membres du personnel médical, selon l’Organisation mondiale de la santé, « consternée et profondément choquée ».
Les récits des survivants évoquent une tuerie systématique. « Au sein de l’hôpital, un bâtiment entier était réservé aux amputés des bombardements. Sur un seul étage, plus de cinquante patients ont été tués », témoigne le médecin Arif Abdalla, rescapé du massacre. Hommes, femmes, enfants, soignants : aucun n’a été épargné. « Cet hôpital était un refuge pour les blessés. Il est devenu leur tombe », ajoute-t-il.
Le siège de la faim et de la peur
Depuis mai 2024, la ville subissait un blocus total. Les FSR avaient coupé les routes, empêché l’acheminement de vivres et de médicaments, et bombardé les infrastructures civiles. À El-Fasher, les habitants survivaient en consommant les résidus d’arachides réservés au bétail. « Nous avons creusé un abri sous terre, si étroit qu’une seule personne pouvait y entrer à la fois », raconte Mastura Ibrahim, sexagénaire réfugiée à Omdurman. « Quand les attaques ont commencé, ils ont pris nos récoltes, nos bêtes, et traité nos enfants d’esclaves. »
Ce climat de famine et de peur a précédé la chute finale. Pour les FSR, la prise d’El-Fasher n’était pas seulement une victoire militaire, mais une opération punitive : anéantir les civils restés sur place, accusés de sympathie envers l’armée soudanaise.
Un massacre d’ampleur génocidaire
Les atrocités commises rappellent les pires heures du Darfour. « C’est un génocide », tranche le docteur Abdalla. « Ils s’en prennent aux civils à cause de leur couleur de peau et parce qu’ils soutiennent l’armée. » Le massacre d’El-Fasher s’inscrit dans une longue série : celui d’El-Geneina, en 2023, avait déjà conduit Washington à accuser les FSR d’atrocités à caractère ethnique contre les populations masalit.
Les crimes filmés par les miliciens eux-mêmes circulent sur les réseaux sociaux : civils abattus dans des salles de classe, exécutions sommaires dans des universités et des hôpitaux, corps entassés dans des bâtiments incendiés. L’un des commandants des FSR, se faisant appeler « Abu Lulu », s’y vante d’avoir « tué plus de deux mille personnes ».
La chute d’une ville symbole
La prise d’El-Fasher représente bien plus qu’une conquête tactique. C’est une victoire stratégique pour le général Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemeti », chef des FSR. En s’emparant du dernier bastion de l’armée au Darfour, il contrôle désormais les cinq capitales régionales de cette région aussi vaste que la France. Cette domination territoriale renforce son « Gouvernement de paix et d’unité », proclamé en avril, et place ses forces en position de marche vers le centre du pays.
Mais la victoire militaire cache un désastre humanitaire absolu. Selon les ONG locales, plus de 2 000 civils auraient été tués en trois jours. À Tawila, à quarante kilomètres de là, plus d’un demi-million de déplacés survivent sans aide. Les rescapés d’El-Fasher y arrivent au compte-goutte, épuisés, blessés, souvent à pied.
« La plupart sont bloqués sur la route, sans eau, sans nourriture. Ils n’ont plus la force d’avancer », alerte Caroline Bouvard, humanitaire pour Solidarités International. « Si rien n’est fait, ils mourront sur place. »
L’échec d’une communauté internationale paralysée
Ce nouveau massacre survient malgré les alertes répétées de l’ONU. En mars 2024 déjà, une résolution du Conseil de sécurité exigeait la levée du siège d’El-Fasher et la protection des civils. Les FSR n’en ont tenu aucun compte. Les réactions internationales, limitées à des communiqués de « préoccupation », soulignent l’impuissance d’un système multilatéral vidé de sa substance.
Pour Mutasim A. Ali, conseiller juridique au Raoul Wallenberg Center for Human Rights, le drame d’El-Fasher est « un échec total de la communauté internationale ». « Nous savions ce qui allait se passer. Tout était prévisible. Et pourtant, personne n’a agi. »
Une guerre qui change de dimension
En prenant El-Fasher, les FSR ont ouvert un corridor stratégique vers Ad-Dabba et les routes de la mer Rouge. L’objectif n’est plus seulement de contrôler le Darfour, mais d’étendre leur emprise jusqu’au cœur du pays. Ce couloir, vital sur le plan économique, permet aussi d’acheminer armes et ressources à travers la Libye voisine.
Selon plusieurs sources sécuritaires régionales, les Émirats arabes unis continuent d’alimenter les FSR en matériel militaire depuis leurs bases en Afrique de l’Est. En octobre, plus d’une cinquantaine d’avions-cargos ont été observés entre la Libye, la Somalie et le Darfour. « Si leur aide s’arrêtait demain, la guerre cesserait », résume un diplomate européen.
El-Fasher, miroir d’un conflit sans fin
Ce qui s’est joué à El-Fasher dépasse la tragédie locale. L’attaque d’un hôpital, symbole ultime de protection humaine, marque un basculement : la guerre n’oppose plus seulement deux armées, mais une milice contre l’idée même de vie civile.
Les FSR imposent la peur comme outil de contrôle. Les habitants, la faim et la mort comme seule loi. Et la communauté internationale, impuissante, enregistre les massacres sans en prévenir les suivants.
El-Fasher devient ainsi le miroir d’un conflit qui s’autonomise, nourri par les trafics d’armes, l’or du Darfour et la passivité du monde. Tant que ces flux ne seront pas interrompus, tant que les responsables ne seront pas poursuivis, le Soudan restera prisonnier d’une guerre de destruction lente où chaque ville conquise devient un charnier.
Paul Lamier Grandes Lignes avec (Reuters)












