De la Silicon Valley à la Maison Blanche, l’homme d’affaires le plus médiatisé de la planète a tenté une incursion spectaculaire dans les affaires de l’État. Mais après des mois de chaos, d’inefficacité et de promesses non tenues, Musk quitte Washington comme il y était entré : entouré de bruit, de controverses, et d’un halo d’impuissance

Un entrepreneur dans l’État : rêve libertarien, exécution hasardeuse
Tout avait commencé sur fond d’ambition grandiloquente. En janvier 2025, Elon Musk annonçait son intention de diriger un fictif « Département de l’Efficacité Gouvernementale » (DOGE), une initiative mêlant ultra-libéralisme, disruption administrative et mise en scène politique. Avec pour objectif affiché : économiser 1 000 milliards de dollars sur le budget fédéral.
Mais derrière les promesses, la réalité s’est rapidement révélée plus complexe. Son groupe a bien supprimé des contrats publics et lancé des audits tous azimuts, mais la méthode a laissé sceptiques nombre d’observateurs. Au jour de son départ, seules 18 % des économies ciblées avaient été réalisées. Le site de son département, censé incarner la transparence, affichait des erreurs grossières de calcul, doublonnait des coupes, voire revendiquait l’annulation de programmes déjà arrêtés depuis des années.
• Objectif d’économies : 1 000 milliards $
• Économies réellement effectuées : 175 milliards $
• Pourcentage atteint : 18 %
• Nombre de suppressions de contrats listées en ligne : +2 000
• Erreurs identifiées dans les rapports du DOGE : plusieurs dizaines, dont des confusions million/milliard
Une politique du choc, sans vision claire
Musk a agi vite, très vite. Des milliers de licenciements ont été opérés au sein des agences fédérales, provoquant une onde de choc dans la bureaucratie américaine. Mais à défaut de stratégie globale, ces décisions ont surtout créé le chaos : services publics perturbés, recours juridiques en chaîne, départs volontaires massifs de fonctionnaires expérimentés.
• Licenciements d’employés en période probatoire : environ 20 000
• Départs volontaires incités : dizaines de milliers
• Procédures judiciaires engagées contre les coupes : plusieurs dizaines en cours
Washington, champ d’expérimentation… et d’abandon
Début mars, Musk se félicitait de 105 milliards d’économies sur le « mur des reçus » de son site. Mais le chiffre s’avéra trompeur. Loin des économies spectaculaires promises, la performance réelle reste discutable. Même ses alliés dans l’administration Trump commencent à prendre leurs distances, préférant défendre des projets de loi indépendamment de ses positions.

En avril, un revers symbolique survient : après avoir injecté plus de 25 millions de dollars dans une course judiciaire au Wisconsin, le candidat soutenu par Musk perd largement. L’homme d’affaires comprend alors que sa présence dans le débat public devient une variable d’instabilité.
• Montant investi dans la campagne judiciaire au Wisconsin : 25 millions $
• Résultat : défaite nette du candidat pro-Musk
Un bilan politique qui profite… à ses affaires
Malgré son départ du gouvernement, l’influence de Musk perdure. Ses entreprises, notamment SpaceX, continuent de bénéficier d’une indulgence réglementaire rare. Amendes de sécurité suspendues, licences de lancement maintenues malgré des échecs : Washington reste un terrain favorable pour ses ambitions industrielles.
Le ministère de la Justice a même abandonné une plainte contre SpaceX pour discrimination, trois jours après avoir formellement défendu Musk comme conseiller de la Maison Blanche devant une cour fédérale.
• Amendes suspendues par le Secrétaire aux Transports : 633 000 $
• Montant total estimé des contrats spatiaux en jeu : plusieurs milliards $
• Licences SpaceX approuvées malgré incidents Starship : 2 (sur 2 tentatives échouées)
Un projet de centralisation des données sous haute surveillance
Parmi les initiatives les plus controversées : la création d’un immense répertoire fusionnant des données sensibles sur les citoyens américains. Numéros de sécurité sociale, dossiers bancaires, historiques d’emploi… autant d’informations jusque-là cloisonnées, que le DOGE a voulu centraliser. Officiellement, pour améliorer l’efficacité ; officieusement, un pas vers une surveillance d’État redoutée.
• Adresses transmises par la Sécurité sociale à l’ICE : 100 000
• Données fusionnées entre IRS, Sécurité sociale, Immigration : volumes non divulgués mais décrits comme « massifs »
• Démissions internes (IRS/Fish & Wildlife) liées à ces pratiques : au moins 3 cadres
Musk, l’icône qui se retourne contre elle-même
L’image d’Elon Musk est désormais double : chef d’entreprise visionnaire et perturbateur politique imprévisible. Les conséquences de cette aventure washingtonienne se font déjà sentir : ventes de Tesla en berne, image écornée à l’international, protestations publiques, pertes de marchés.
Un activiste environnemental au Texas résume cette dérive : « Il n’y a pas de véritable surveillance. Musk agit sans contrepoids. »
• Pertes estimées de parts de marché Tesla aux États-Unis (2024-2025) : –10 %
• Évaluations critiques dans les campagnes internationales : affiches virales dans au moins 3 pays (Royaume-Uni, Allemagne, France)
• Campagnes de boycott actives : +5 recensées par les ONG
Une sortie fracassante, à la mesure de l’entrée
Elon Musk quitte Washington sans avoir atteint ses objectifs. Et dans une formule devenue rituelle, il préfère blâmer la machine étatique que reconnaître les limites de sa propre action :
« Je pensais qu’il y avait des problèmes, mais c’est certainement une bataille difficile pour essayer d’améliorer les choses à D.C., c’est le moins qu’on puisse dire. »
Mais derrière l’aveu se cache une autre vérité : Musk n’a pas quitté la capitale sans laisser d’empreinte. Il y a façonné un précédent dangereux : celui d’un entrepreneur capable d’utiliser les institutions comme levier politique… tout en en réduisant la capacité d’action.
• Pourcentage des coupes annulées ou contestées : non précisé, mais « plusieurs dizaines » selon les sources judiciaires
• Réalisations concrètes vs promesses annoncées : 18 % atteints sur 1 000 milliards $
• Nombre de procédures juridiques en cours au départ de Musk : plusieurs encore actives devant les juridictions fédérales
En quittant son rôle d’“employé spécial du gouvernement”, Elon Musk ne s’éloigne pas pour autant du pouvoir. Ses entreprises continuent de décrocher des contrats, ses amis siègent encore dans les agences qu’il a influencées, et ses idées restent présentes dans les couloirs du Capitole.
Adonis Kanga Grandes Lignes