Alors que le monde regarde vers Kiev ou Gaza, Emmanuel Macron déploie sa diplomatie vers une autre ligne de fracture géopolitique : l’Asie du Sud-Est. Du Vietnam à Singapour, en passant par l’Indonésie, le président français cherche à incarner une alternative européenne entre la rivalité grandissante de Donald Trump et Xi Jinping. Une stratégie indo-pacifique ambitieuse, mais semée d’embûches.
La quête d’une autonomie stratégique
Dans une région où le bras de fer sino-américain domine tous les équilibres, la France veut faire entendre une voix différente. Celle d’une Europe « autonome », attachée au multilatéralisme, et en quête de débouchés commerciaux, de partenariats technologiques et de points d’appui militaires. Depuis 2017, Paris trace cette ligne, renforcée par sa présence dans la zone (Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Mayotte, La Réunion) et ses capacités de projection, comme l’illustre le passage du Charles de Gaulle dans la région en début d’année.
Mais cette ambition se heurte à une double limite : l’incertitude stratégique américaine, incarnée par le retour de Donald Trump, et la montée en puissance de la Chine, qui pousse ses pions dans toute l’Asie du Sud-Est. « Le Vietnam, comme d’autres, ne veut pas choisir un camp », résume Khang Vu, chercheur au Boston College. D’où l’importance, pour Paris, d’apparaître comme un acteur fiable, respectueux de la souveraineté et non aligné.
Une tournée entre diplomatie et commerce
À Hanoï, Emmanuel Macron mise sur la mémoire historique et les intérêts économiques. Le projet phare : un TGV reliant Hanoï à Hô Chi Minh-Ville. Estimé à 67 milliards de dollars, il attire déjà la convoitise du Japon et de la Chine. EDF espère aussi se positionner sur le futur programme nucléaire vietnamien. Mais la concurrence est rude, et la France reste encore marginale sur ce marché stratégique.
En Indonésie, le président français entend consolider un partenariat de défense déjà bien engagé : 42 Rafale commandés, deux sous-marins Scorpène, et une coopération militaire en voie d’élargissement. Le président Prabowo, francophile notoire, veut faire de son pays un hub régional dans les batteries électriques et le nucléaire. Une opportunité pour la France, si elle parvient à combiner intérêts industriels et diplomatie de long terme.
Enfin à Singapour, Macron bouclera son périple en ouvrant le Dialogue Shangri-La, principal forum régional de sécurité. Une première pour un dirigeant européen. Un moment d’exception, mais aussi d’observation, sous l’œil des ministres de la Défense asiatiques… et peut-être du secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth.
Un test de crédibilité pour la France et l’Europe
Cette tournée intervient à un moment charnière. La guerre en Ukraine, la montée des tensions au Proche-Orient, et les incertitudes autour de la politique étrangère américaine pèsent lourdement sur la crédibilité européenne. Pour les pays d’Asie du Sud-Est, l’UE semble trop concentrée sur son flanc est pour jouer un rôle structurant à l’autre bout du monde.
Emmanuel Macron veut inverser cette perception. Mais les moyens militaires et diplomatiques français restent limités face à Pékin ou Washington. C’est donc sur le registre du respect, de la coopération équilibrée et de la longévité des partenariats que Paris entend marquer sa différence.
« Cette visite permet au Vietnam de montrer à Pékin qu’il est courtisé ailleurs », souligne Benoît de Tréglodé de l’Irsem. Un atout pour Hanoi, mais un exercice d’équilibrisme pour Paris, qui devra manœuvrer habilement entre rivalités régionales, intérêts économiques et pressions diplomatiques.
Macron poursuit un pari stratégique de long terme dans une zone-clé du XXIe siècle. Mais entre les tensions internationales, la concurrence économique et l’instabilité régionale, sa « troisième voie » reste fragile. Cette tournée d’une semaine, aussi ambitieuse soit-elle, ne pourra produire ses fruits qu’à la condition d’un engagement constant, pragmatique et crédible de la France en Indo-Pacifique.
Paul Lamier Grandes Lignes












