La Chine resserre les rangs. Face à la pression économique grandissante de Washington, Pékin déploie une stratégie diplomatique résolue mêlant gestes d’ouverture, avertissements à peine voilés et démonstrations de puissance. Pour Xi Jinping, l’enjeu n’est pas seulement économique : il est systémique. Il s’agit de défendre l’architecture commerciale mondiale qui a permis à la Chine de s’ériger en deuxième puissance économique mondiale et de contrer l’isolement stratégique orchestré par l’administration Trump.

L’offensive américaine, incarnée par une vague de droits de douane massifs, s’inscrit dans une logique de rupture avec le multilatéralisme. En ciblant directement les exportations chinoises, Washington veut fragiliser la chaîne de valeur de l’« usine du monde » et rééquilibrer une balance commerciale historiquement déficitaire. Pékin, sans surprise, a répondu par la réciprocité : hausses tarifaires ciblées, restrictions sur les exportations de minerais critiques et menaces sur les entreprises occidentales opérant sur son sol.

Mais au-delà de cette riposte classique, la Chine cherche à manœuvrer sur le front diplomatique. Xi Jinping s’emploie à convaincre ses voisins, partenaires stratégiques et anciens rivaux de ne pas céder aux sirènes de Washington. À Bruxelles, Tokyo ou Séoul, les émissaires chinois multiplient les échanges. À Hanoï ou Kuala Lumpur, Xi se déplace en personne, enchaînant les visites d’État à la symbolique forte, quitte à composer avec des foules soigneusement encadrées et des communiqués communs peu engageants.

Le but est clair : empêcher la formation d’un bloc occidental-asiatique susceptible de rejoindre la croisade tarifaire américaine. Il ne s’agit pas tant de rallier des soutiens indéfectibles à Pékin que de neutraliser les velléités d’alignement. Une tactique d’évitement plus que de coalition, qui s’appuie sur les doutes que suscite la fiabilité américaine auprès de certains partenaires.

Les responsables chinois ne s’en cachent pas : l’argument central repose sur la défiance envers la constance stratégique de Washington. « Voyez comment les États-Unis traitent leurs alliés les plus proches », glissent-ils dans les couloirs des sommets bilatéraux. « Pourquoi penser qu’ils vous traiteraient mieux demain ? »

Mais la stratégie de séduction rencontre ses limites. Le passé récent de Pékin, sa coercition économique, ses campagnes de boycott, ses subventions massives laisse peu de place à l’oubli. Même dans un contexte de tension avec Washington, les partenaires asiatiques et européens n’ignorent pas que la Chine joue souvent à armes inégales. C’est notamment le cas du Vietnam, où Xi a été reçu avec les honneurs d’un chef d’État, mais sans obtenir l’alignement politique escompté. Hanoï, prudent, a signé une déclaration commune vague et évité tout engagement susceptible d’irriter les États-Unis.

Trump, de son côté, maintient la pression. En parallèle de ses mesures protectionnistes, il encourage la signature d’accords bilatéraux – souvent assortis de clauses implicites visant la Chine. Les discussions en cours avec le Japon ou le Vietnam pourraient, à terme, déboucher sur des accords de non-contournement empêchant le transit de marchandises chinoises par des pays tiers pour échapper aux droits de douane américains.

Dans ce contexte, les marges de manœuvre se réduisent. Les pays d’Asie du Sud-Est, souvent pris entre l’ombre de Pékin et la pression de Washington, tentent de préserver leur autonomie stratégique. Mais la ligne de crête est étroite. Pour Pékin, la tentation est forte d’accentuer les mesures de rétorsion contre ceux qui montreraient trop d’empressement à répondre aux injonctions américaines.

Le mois dernier, le Canada en a fait les frais, avec une augmentation drastique des droits de douane chinois sur certains produits agricoles. Et le message de la Chine est limpide : les États qui utilisent les intérêts chinois comme monnaie d’échange dans leur rapprochement avec Washington devront en assumer le prix.

Cette dynamique pose une équation nouvelle dans l’ordre international. La guerre commerciale dépasse le simple affrontement sino-américain. Elle redéfinit les règles du jeu mondial, oblige les puissances moyennes à se repositionner, et impose aux blocs régionaux une logique de choix que beaucoup souhaitaient éviter.

La Chine ne demande pas aux États de choisir son camp. Elle leur demande de ne pas en choisir un autre. C’est cette nuance stratégique qui dicte les gestes de Xi Jinping et sous-tend chaque ligne de la diplomatie chinoise actuelle : préserver l’accès aux marchés mondiaux, affaiblir l’unité occidentale, et rappeler au monde que, face à Washington, Pékin n’a pas l’intention de se laisser isoler.

Paul Lamier, Grandes Lignes.