Six ans après la fin du traité FNI, la Russie officialise la reprise de ses programmes de missiles de moyenne et courte portée, sur fond de confrontation stratégique avec les États-Unis. Une décision perçue comme un signal politique autant que militaire.
Fin de la retenue russe
Le 4 août, Moscou a annoncé qu’elle ne se considérait plus liée par le moratoire volontaire qu’elle observait depuis 2019 sur les missiles terrestres de portée intermédiaire. Ces armes, dont la portée s’étend de 500 à 5 500 kilomètres, étaient autrefois interdites par le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), signé entre les États-Unis et l’Union soviétique en 1987, puis suspendu en 2019 à l’initiative de l’administration Trump.
Depuis cette date, la Russie affirmait ne pas déployer de nouveaux missiles de cette catégorie « à moins d’y être contrainte ». Ce temps est désormais révolu.
“Se retenir n’est plus possible”, titre le quotidien économique Kommersant, en référence aux propos du ministère russe des Affaires étrangères. Ce dernier justifie la levée du moratoire par les avancées américaines dans le développement et le déploiement de missiles à moyenne portée, notamment en Asie-Pacifique et en Europe.
La menace des installations américaines
Selon Moscou, les États-Unis ont amorcé une transformation stratégique de leur posture militaire. Le système de lancement Typhon, initialement déployé aux Philippines pour des exercices, y est resté de manière permanente. Des essais de missiles balistiques de type PrSM ont eu lieu en Australie, et Washington prévoit d’installer dès 2026 des missiles longue portée SM-6 en Allemagne.
Pour le politologue russe Oleg Barabanov, cité par Vedomosti, cette décision est autant une mesure de sécurité qu’un acte de communication : elle vise à « exercer une pression psychologique » sur Washington pour rappeler que l’axe de confrontation stratégique pourrait s’élargir bien au-delà du théâtre ukrainien.
Une escalade sur d’autres théâtres ?
Plus offensif, le quotidien Vzgliad, proche du Kremlin, évoque les options militaires désormais à l’étude : Moscou pourrait déployer ses propres missiles intermédiaires dans des zones éloignées de l’Ukraine, notamment en Asie ou en Europe. Le spécialiste Alexandre Yermakov cite la possibilité de déploiements de missiles balistiques hypersoniques Orechnik, présentés comme la nouvelle génération d’armement stratégique.
Ce repositionnement viendrait réaffirmer les capacités de dissuasion russes dans une logique de symétrie avec l’Occident, tout en contournant l’espace ukrainien, où la Russie est déjà fortement engagée.
Le spectre d’une nouvelle course aux armements
Pour plusieurs analystes russes, cette levée du moratoire rappelle le contexte tendu de la fin des années 1970, marqué par la crise des euromissiles. À l’époque, l’accumulation d’armes nucléaires à moyenne portée en Europe avait conduit à une impasse diplomatique, avant l’adoption du traité FNI en 1987.
Sergueï Oznobichtchev, expert en désarmement, estime que « la course aux armements semble inévitable à moyen terme ». Mais il n’exclut pas qu’à plus long terme, les deux grandes puissances soient contraintes de revenir à la table des négociations pour définir de nouvelles formes de retenue.
Une stratégie sans mention directe de Trump
Fait notable : la presse pro-Kremlin se garde de mentionner directement les récentes déclarations de Donald Trump sur le nucléaire, alors même que l’actuel président américain multiplie les signaux de fermeté à l’égard de la Russie. Cette prudence s’interprète comme une volonté de ne pas fermer la porte à un éventuel dialogue, ou du moins d’éviter de personnaliser la confrontation.
Reste que cette décision russe formalise une rupture. Elle ouvre un nouveau chapitre dans l’équilibre stratégique mondial, à un moment où les mécanismes de contrôle des armements sont au point mort, et où les tensions entre grandes puissances sont à leur plus haut niveau depuis la fin de la guerre froide.
Paul Lamier Grandes Lignes