À l’approche de l’élection présidentielle, la franc-maçonnerie camerounaise s’expose à de fortes secousses internes. D’ici juin, le Grand Orient de France devra trancher sur la reconnaissance d’un projet d’obédience nationale baptisé Grand Orient du Cameroun. Cette initiative, portée par plusieurs personnalités influentes du monde politique et économique, vise officiellement à redonner un souffle à une communauté jugée en perte d’influence. Mais au-delà du discours de renouveau, le projet cristallise des tensions : rivalités de rites, luttes d’influence, et fractures organisationnelles traversent désormais le paysage maçonnique local.
Une ambition de rupture masquée par un discours d’unité
C’est le député et chirurgien Yves Martin Ahanda Assiga qui porte cette initiative, en première ligne pour soumettre le projet au convent du Grand Orient de France. À travers cette démarche, ses instigateurs ambitionnent de réinscrire la franc-maçonnerie camerounaise dans le débat national, alors que le pays se prépare à une élection présidentielle décisive. Ils mettent en avant la pluralité des sensibilités représentées au sein du groupe entre figures proches du pouvoir et de l’opposition et défendent l’idée d’un espace fraternel de dialogue. Mais cette volonté d’ouverture ne fait pas consensus.
Une cérémonie aux allures de revanche symbolique
Le 18 avril dernier à Douala, l’allumage des feux de la loge baptisée « Lumière du Cameroun » a été présenté comme un événement « historique ». Officiellement, il s’agissait de raviver une loge disparue depuis les années 1930 la première créée en Afrique centrale. Historiquement fréquentée par des figures telles que Félix Eboué ou Blaise Diagne, elle est aujourd’hui ressuscitée dans un geste à la fois symbolique et stratégique.
Aux commandes de cette relance : Olivier Behle, ancien président du Gicam ; Hervé Emmanuel Nkom, banquier influent ; et Théodore Elessa, avocat. Tous affirment vouloir ouvrir une nouvelle page. Mais pour d’autres, il ne s’agit que d’une dissidence mal déguisée.
Conflit de rites, accusations de mixité et exclusions
La création du Grand Orient du Cameroun s’inscrit en opposition à la Grande Loge unie du Cameroun (Gluc), affiliée elle aussi au Grand Orient de France. Le cœur du conflit : le Rite écossais rectifié, plus souple sur la mixité, s’oppose au Rite écossais ancien, pratiqué par la Gluc, qui interdit la présence de femmes en loge.
Certains initiateurs du nouveau projet, comme Richard Ndjock secrétaire général au ministère de la Santé ont été exclus pour avoir contribué en 2017 à la création de la Grande Loge féminine du Cameroun, rassemblant plusieurs figures de premier plan, comme Marie Rose Dibong, Élise Pokossy Doumbé ou Mariette Moulongo. Ce geste a été perçu comme une rupture doctrinale par leurs anciens frères, qui y ont vu une transgression inacceptable.
Une recomposition confuse, entre dissidence et concurrence
Accusés d’avoir violé les règles de non-mixité, radiés de la Gluc, les dissidents sont aujourd’hui aux avant-postes de ce nouveau projet maçonnique. Ils revendiquent un ancrage dans l’histoire tout en défendant un aggiornamento idéologique. En face, la Gluc voit dans ce projet une tentative de légitimation post-exclusion.
Reste une troisième actrice : la Grande Loge nationale du Cameroun (GLNC), affiliée à la GLNF. Mais cette structure n’est pas en reste en matière de divisions internes. Elle est engluée dans des querelles liées à la longévité contestée de son grand maître, Pierre Moukoko Mbonjo, en poste depuis plus de vingt ans, et lui aussi ancien ministre.