4 Nov 2025, mar

Justin Nsengiyumva, de l’exil à la primature rwandaise

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Condamné pour corruption en 2009, exilé au Royaume-Uni, puis proche d’un mouvement d’opposition considéré comme terroriste par Kigali, Justin Nsengiyumva revient au sommet de l’État. Sa nomination envoie un signal politique inattendu dans un pays marqué par la centralisation du pouvoir présidentiel.

Une nomination inattendue à la tête du gouvernement

Le 25 juillet 2025, Justin Nsengiyumva a officiellement prêté serment en tant que nouveau Premier ministre du Rwanda. Sa désignation, annoncée deux jours plus tôt par le président Paul Kagame, marque un moment singulier dans l’histoire politique contemporaine du pays. Économiste de formation, ancien haut fonctionnaire devenu réfugié politique au Royaume-Uni, puis acteur marginal de l’opposition en exil, Nsengiyumva revient aujourd’hui au plus haut niveau de l’appareil d’État.

Dans son discours d’investiture, il s’est engagé à œuvrer pour « la transparence dans l’action publique », à « travailler en synergie avec les institutions » et à « ne laisser aucun Rwandais de côté ». Un ton rassembleur, en écho à un parcours marqué par les ruptures et les réconciliations.

Un poste restreint dans un régime hyperprésidentiel

Dans la configuration politique du Rwanda, la fonction de Premier ministre reste encadrée : le pouvoir réel est largement concentré entre les mains du président. Justin Nsengiyumva succède à Édouard Ngirente, en poste depuis 2017. À la suite de sa nomination, un remaniement limité a été opéré avec l’entrée de quatre nouveaux ministres.

Comme ses prédécesseurs, Nsengiyumva ne fait pas partie du Front patriotique rwandais (FPR), parti dominant. Mais à la différence d’Édouard Ngirente ou d’Anastase Murekezi, issus du Parti social-démocrate, il ne dispose d’aucune appartenance partisane claire. Son parcours politique s’est construit en dehors de la majorité présidentielle, voire contre elle.

De Kigali à Londres : l’exil après la chute

Avant sa disgrâce, Justin Nsengiyumva était une figure montante de l’administration rwandaise. Diplômé en économie de l’université catholique d’Afrique de l’Est et de l’université de Nairobi, il avait gravi les échelons jusqu’à devenir secrétaire permanent au ministère de l’Éducation en 2008.

Mais en novembre de la même année, il est arrêté, accusé d’avoir exigé un pot-de-vin dans un marché public lié à la fourniture de matériel scolaire. Deux semaines plus tard, il s’évade de sa garde à vue et quitte clandestinement le pays. Le Rwanda lance un mandat d’arrêt, mais Nsengiyumva obtient l’asile politique au Royaume-Uni, puis la nationalité britannique.

Durant près d’une décennie, il refait sa vie : il travaille pour l’ONG Refugee Action, obtient un doctorat en économie à l’université de Leicester et intègre la fonction publique britannique, occupant des postes au département du travail et au ministère des Transports.

Parcours d’opposant modéré dans l’exil

S’il s’éloigne de la scène rwandaise pendant ses premières années à Londres, Justin Nsengiyumva finit par rejoindre le RNC (Congrès national rwandais) en 2010. Cette formation, composée de dissidents du FPR, est considérée par Kigali comme une organisation terroriste.

Nsengiyumva y joue un rôle secondaire, sans occuper de fonctions exécutives, mais participe à la rédaction de documents de stratégie et à des réunions de commissions. Il reste actif au sein du mouvement jusqu’en 2019. Cette affiliation l’associe de facto à une opposition que Kigali surveille de près, notamment après l’assassinat de Patrick Karegeya et l’arrestation de Paul Rusesabagina.

Une réintégration progressive, sous conditions

En mars 2023, dans un contexte de décrispation, les autorités rwandaises annoncent la libération de Rusesabagina, gracié après avoir purgé deux ans et demi sur les vingt-cinq prévus. Le communiqué mentionne également le nom de Justin Nsengiyumva, acquitté par contumace à l’issue d’un processus de pardon initié discrètement.

L’année suivante, l’économiste revient au Rwanda. En février 2025, il est nommé vice-gouverneur de la Banque nationale, marquant son retour officiel dans les hautes sphères de l’État. Cinq mois plus tard, il est promu Premier ministre. Pour certains analystes, sa nomination reflète une volonté d’ouverture, au moins symbolique, à l’égard de l’opposition en exil.

Mais au sein du RNC, la réaction est cinglante : le parti publie un communiqué le jour même de sa nomination, annonçant sa suspension, documents internes à l’appui. Le RNC affirme avoir pris ses distances avec Nsengiyumva depuis février, estimant qu’il avait engagé un processus de réconciliation sans concertation avec les instances du parti.

Une nomination à double lecture

Pour Paul Kagame, réélu en 2024 pour un cinquième mandat, cette nomination s’inscrit dans une stratégie politique maîtrisée : intégrer une figure venue de l’exil, mais aujourd’hui loyale au système. Un geste politique sans grand risque institutionnel, dans un régime où le Premier ministre reste secondaire.

Pour Justin Nsengiyumva, c’est un retour spectaculaire sinon une revanche après quinze années de rupture. Une trajectoire marquée par la chute, l’exil, la distance, puis la réhabilitation.

Reste à savoir s’il disposera d’une marge d’action réelle, ou s’il demeurera une figure d’équilibre, placée à la tête du gouvernement pour adresser un message, plus que pour gouverner.

Paul Lamier Grandes Lignes

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