Il y a un demi-siècle, un événement sportif allait bouleverser bien plus que le monde de la boxe. Le “Rumble in the Jungle”, affrontement mythique entre Muhammad Ali et George Foreman, ne fut pas seulement un duel de champions : il marqua un tournant culturel et politique, tant pour leurs carrières que pour le pays hôte, le Zaïre, aujourd’hui République démocratique du Congo.
Mobutu, l’homme derrière le coup de projecteur
En 1974, le président zaïrois Mobutu Sese Seko décide d’accueillir ce qui allait devenir l’un des combats les plus emblématiques de l’histoire. À travers cette initiative, il cherchait à projeter une image stable et moderne d’un pays en pleine reconstruction, après les troubles qui avaient suivi son indépendance de la Belgique.

Ce combat opposait un Muhammad Ali, donné sur le déclin, à un George Foreman alors invaincu, au sommet de sa puissance. Derrière l’enjeu sportif, se jouait pour Mobutu une opération de séduction internationale, un pari de prestige visant à unir le Zaïre et à lui offrir une reconnaissance mondiale.

Ali, provocateur et stratège
Fidèle à son style, Ali n’a pas hésité à provoquer, même au risque de heurter. À l’occasion d’une conférence de presse, il plaisante avec les journalistes : « Au Zaïre, on va vous mettre dans une marmite et vous faire cuire ». Cette phrase, qui renvoie à des clichés racistes, provoque rapidement une réaction des autorités zaïroises, soucieuses de promouvoir une image positive du pays. Mais ce type de provocation ne fera qu’attiser la curiosité médiatique autour du combat, qui devient alors un phénomène mondial.

Sur le ring, Ali bouleverse les attentes. Grâce à sa stratégie du “rope-a-dope”, il épuise Foreman avant de l’achever par KO au 8e round. Le champion jusque-là invaincu tombe, et avec lui, l’image d’un homme invincible.
Foreman, une transformation inattendue
Cette défaite marquera un tournant dans la vie de George Foreman. Décrit avant le combat comme dur et menaçant, il sort de cette expérience transformé et assagi. Plus tard, il deviendra une figure populaire et entrepreneur à succès, notamment grâce à son célèbre grill. De cette rivalité intense naîtra, dans les années suivantes, une profonde amitié entre les deux boxeurs.

Mais le “Rumble in the Jungle” fut plus qu’un simple combat. Il a offert aux Américains, notamment afro-descendants, une nouvelle image de l’Afrique, éloignée des stéréotypes. Il a aussi renforcé les liens culturels entre Africains et Afro-Américains, à travers un événement suivi dans le monde entier.

L’impact s’est ressenti bien au-delà du ring. Le festival musical organisé en marge du combat – avec des artistes comme James Brown, BB King et Miriam Makeba – a contribué à faire de Kinshasa un carrefour de la culture noire mondiale, ne serait-ce que le temps de quelques jours.

Une fierté nationale, un souvenir impérissable
Le Dr Kikaya Bin Karubi, universitaire et homme politique congolais, se souvient encore de cette nuit historique : « Nous étions tous fiers d’être Congolais ». Dans les écoles, on chantait les louanges de Mobutu et des ressources du Zaïre. Le gouvernement distribuait des vêtements à l’effigie des boxeurs et du président. Le stade national, initialement prévu pour 38 000 spectateurs, fut agrandi pour en accueillir plus de 100 000.
Cependant, malgré les 12 millions de dollars investis par l’État zaïrois, l’événement n’a pas généré les retombées économiques espérées. À la même période, Mobutu instaurait un programme de zaïrianisation de l’économie, forçant des entreprises étrangères à être transférées à des nationaux souvent peu préparés, précipitant un effondrement économique dans les années suivantes.

Des décennies plus tard, le combat continue de marquer les esprits. « Chaque fois que je disais que je venais du Zaïre, les gens me parlaient du Rumble in the Jungle », raconte le Dr Kikaya, qui a étudié aux États-Unis.
Ce combat est resté dans les mémoires comme un moment de gloire fugace, un instant où le sport, la politique, la culture et l’identité se sont entrecroisés pour écrire une page unique de l’histoire congolaise et mondiale.