En dépit des déclarations rassurantes de son conseiller principal pour l’Afrique, Donald Trump ne cache plus sa vision utilitariste du continent. Sous couvert de sécurité migratoire, de « bon sens économique » et de priorités nationales, Washington restructure sa politique étrangère avec une froide indifférence aux conséquences pour l’Afrique.
L’administration américaine coupe, réforme ou suspend brutalement les principaux canaux de soutien aux pays africains, tout en durcissant son contrôle sur les institutions financières internationales comme le FMI. En face, des dirigeants africains souvent discrets, parfois résignés, peinent à peser sur les décisions de la première puissance mondiale.
Le démantèlement de l’aide américaine s’est opéré à un rythme soutenu. Après l’Usaid, bras historique du développement, Donald Trump s’en est pris au Millennium Challenge Corporation, une structure-clé qui finançait des infrastructures dans plusieurs pays africains. Cette orientation annonce un retrait durable de Washington dans le financement des politiques publiques africaines, y compris dans les domaines sensibles que sont la santé, la sécurité alimentaire ou les urgences humanitaires. Selon des projections de l’université de Denver, la suppression de ces appuis pourrait plonger 19 millions de personnes dans l’extrême pauvreté d’ici à 2030.
Une absence de réaction politique assumée
Les capitales africaines n’ont pour l’instant opposé que peu de résistance. Soucieux de ménager leurs liens diplomatiques avec les États-Unis, la plupart des chefs d’État évitent les critiques frontales. Le président zambien Hakainde Hichilema, lui, a salué ironiquement une « gifle sur les deux joues », en appelant à une plus grande autonomie africaine. Mais la réalité budgétaire est brutale : dans un contexte de contraction économique mondiale, d’endettement croissant et d’instabilité géopolitique, nombre de pays africains dépendent encore de l’aide extérieure.
L’AGOA sous menace, le multilatéralisme affaibli
Symbole de la coopération commerciale Afrique–États-Unis, l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) pourrait ne pas survivre au second mandat de Trump. Prévu pour expirer en septembre, cet accord permet à une trentaine de pays africains d’exporter des biens sans droits de douane vers les États-Unis. Mais face à la guerre commerciale initiée par la Maison Blanche, son renouvellement semble illusoire. Même si les échanges restent modestes, certains pays comme Madagascar ou le Lesotho risquent d’être touchés par des surtaxes jusqu’à 50 %.
Au-delà des taxes, c’est la vulnérabilité systémique de l’Afrique qui préoccupe les analystes. Un ralentissement brutal de la Chine, partenaire commercial de premier plan, pourrait faire chuter la demande de matières premières africaines, déséquilibrer les balances commerciales et bloquer les projets d’investissement. Ce scénario est aggravé par le retour de l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, qui pourraient refermer l’accès des États africains aux marchés financiers.
Le FMI entre soutien conditionné et influence politique
Le Fonds monétaire international (FMI), souvent appelé à la rescousse en temps de crise, n’échappe pas à l’ombre portée de Washington. Alors même que ses prévisions de croissance pour l’Afrique subsaharienne sont revues à la baisse 3,8 % attendus en 2025 le Fonds pourrait voir son autonomie fragilisée. Les États-Unis, actionnaire principal, ont déjà montré leur volonté d’instrumentaliser les institutions multilatérales. En janvier, un sénateur proche de Trump exigeait du Ghana le remboursement préalable de ses dettes aux entreprises américaines avant tout nouveau financement du FMI. Ce type de chantage risque de se généraliser.
Une approche transactionnelle risquée pour l’Afrique
Dans ce contexte, certains pays africains tentent de jouer la carte des « contreparties » concrètes. La RDC, par exemple, a proposé un meilleur accès à ses minerais stratégiques en échange d’un soutien américain dans le conflit qui l’oppose au Rwanda. Une tentative de diplomatie pragmatique qui a débouché, fin avril, sur une rencontre entre les ministres des affaires étrangères congolais et rwandais, facilitée par Washington. Mais cette approche reste hasardeuse et ne peut se substituer à une politique continentale cohérente face aux puissances extérieures.
Un déséquilibre structurel persistant
Face à une administration américaine obsédée par ses intérêts immédiats et à un FMI potentiellement instrumentalisé, les pays africains apparaissent désarmés. Faiblement intégrés à l’économie mondiale et dispersés dans leurs stratégies, ils peinent à défendre leurs intérêts collectifs. La situation actuelle met crûment en lumière l’urgence d’une souveraineté économique réelle, à l’échelle régionale comme continentale. Car sans vision commune ni levier d’influence, l’Afrique risque de rester un figurant dans un monde où les rapports de force se durcissent.
Adonis Kanga Grandes Lignes