14 Juin 2025, sam

Série : Le mercenaire aux sept vies, quand Bob Denard dirigeait les Comores

Grandes Lignes

La naissance d’un mercenaire d’État : des commandos français au Katanga

Aussi vieux que la guerre, le mercenariat a toujours suivi les pas de l’Empire. Il est l’arme des puissants qui ne veulent pas apparaître. Dans les coulisses de la Françafrique, un homme s’est hissé au sommet de cette zone grise : Robert Denard, alias “le colonel”, alias Mustapha Mahdjoub, alias l’homme aux 34 passeports.

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Mais avant d’être l’architecte de coups d’État à la chaîne et de devenir le maître officieux des Comores, il fut d’abord un soldat perdu, recruté pour faire le sale travail que la République refusait d’assumer publiquement.

Une jeunesse faite d’expulsions et d’ombres

Robert Denard naît en 1929 à Bordeaux, sous le nom de Gilbert Bourgeaud, dans une famille de classe moyenne. Très tôt, il nourrit un goût pour l’action, le secret et les récits d’aventure. À 18 ans, il s’engage dans la marine nationale, où il gravit rapidement les échelons parmi les fusiliers commandos. Envoyé en Indochine, il participe aux combats dans le delta, un épisode qu’il évoquera peu, sinon pour dire que c’est là qu’il a appris à « survivre en silence ».

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Mais ce silence ne l’empêche pas d’être renvoyé de l’armée pour une bagarre dans un bar, puis placé en détention : 60 jours de forteresse. Revenu à la vie civile, il se retrouve au Maroc, encore sous protectorat, comme gardien de la paix. Rapidement promu à la section antiterroriste, il est soupçonné en 1956 d’avoir participé à une tentative d’assassinat contre Pierre Mendès France, alors ministre d’État. Il est arrêté, jugé… et acquitté. Mais ce passage éclaire déjà une trajectoire où la violence se mêle à la politique.

Premiers réseaux : Maurice Robert et Jacques Foccart

C’est à cette époque que Denard entre dans la zone d’influence de Maurice Robert, un homme-clé du SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), et futur architecte du système de renseignement africain de la France.

Maurice Robert, véritable parrain invisible, repère le potentiel de Denard : discret, fidèle, brutal et malléable. L’autre figure tutélaire, Jacques Foccart, est quant à lui le maître d’œuvre de la politique africaine de l’Élysée sous de Gaulle, l’inventeur de la Françafrique. Foccart, Robert et Denard : la sainte trinité d’une guerre parallèle.

Le SDECE, à l’époque, recrute des hommes de main pour stabiliser les zones d’influence française sur un continent africain fraîchement décolonisé mais économiquement stratégique. Le jeune Denard veut en être, mais Trinquier, un officier français légendaire des guerres coloniales, refuse de le recruter. Qu’importe : il reviendra par la fenêtre.

Le Katanga : le baptême du feu

En 1961, Denard rejoint les rangs des mercenaires engagés dans le Katanga, province sécessionniste du Congo ex-belge. Financé par les Belges et protégé en coulisses par les services français, le Katanga de Moïse Tshombé sert de laboratoire pour une contre-insurrection coloniale par procuration.

Grandes Lignes Bob Denard
Bob Denard au Katanga en 1962

Denard s’y impose rapidement comme commandant des “volos”, surnom donné à sa cohorte de mercenaires, surnommés aussi les “affreux”. Des Européens, des ex-soldats, des aventuriers de toutes origines, souvent sans foi ni loi, qui combattent pour une solde, une cigarette ou une vengeance.

À la tête de cette petite armée, Denard mène une guerre d’usure contre les forces régulières congolaises et résiste même à l’ONU pendant deux ans. Ce conflit lui vaut une première notoriété, mais aussi un capital de relations, d’armes et de contacts qui feront de lui l’un des plus puissants agents non-officiels de la République française en Afrique.

Le corsaire de la République

À son retour, Denard est déjà l’un des piliers de la “Françafrique de l’ombre”. Il travaille au Bénin, au Gabon, au Tchad, en Côte d’Ivoire, au Kurdistan, au Biafra, au Yémen, au Congo-Brazzaville. À chaque fois, la logique est la même : renverser un chef d’État jugé instable ou hostile aux intérêts français, pour le remplacer par un allié plus docile.

Il n’est jamais seul. Les opérations sont souvent avalisées par un “feu orange” du SDECE : pas un ordre direct, mais un signal de tolérance.

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Denard le dira lui-même :

« Je ne suis pas un homme des services. Je ne suis pas un honorable correspondant. Je suis un free-lance qu’on a utilisé. »

Mais les preuves disent le contraire : 34 vrais-faux passeports fournis par les services français, des centaines de cassettes d’enregistrement, des contrats, des billets d’avion, des inventaires d’armes… tout est archivé par Denard lui-même. Ses documents, aujourd’hui partiellement versés aux Archives nationales, témoignent de la réalité : il est un soldat de la République sans uniforme.

Une légende en marche

À la fin des années 1970, Denard est devenu plus qu’un mercenaire. Il est un acteur central de la géopolitique clandestine française en Afrique.

Son prochain terrain de jeu sera les Comores, un archipel oublié de l’océan Indien, stratégique par sa proximité avec Madagascar, l’Afrique de l’Est et… l’Afrique du Sud sous apartheid.

Ce sera le théâtre principal de sa carrière, le lieu où il se construira un empire privé, où il se convertira à l’islam, où il prendra une épouse locale, où il dirigera une garde présidentielle et une armée, et où, surtout, il régnera sans couronne pendant plus d’une décennie.

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Le mercenaire français Bob Denard est assis sur le sol de la mosquée de Moroni. Il est sous la protection de ses gardes du corps de la Garde présidentielle (GP), un groupe armé qu’il a été payé pour fonder, perpétrer un coup d’Etat et renverser le gouvernement des Comores en 1976, avant de renverser son propre employeur en 1978.

Paul Lamier Grandes Lignes

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