Lecture 05 min. Publié le 18 octobre 2025 à 19h31
Près de huit décennies après les faits, le Sénégal remet en lumière l’un des épisodes les plus sombres de la mémoire coloniale française.
Un rapport d’historiens africains, remis le 16 octobre au président Bassirou Diomaye Faye, conclut que le massacre des tirailleurs de Thiaroye, survenu le 1er décembre 1944 près de Dakar, fut « prémédité » et « camouflé » par l’armée française.
Un acte planifié, dissimulé et effacé des registres
Commandé par le gouvernement sénégalais et dirigé par l’historien Mamadou Diouf, professeur à l’université Columbia, le rapport constitue la première étude entièrement menée par des chercheurs africains.
Il révèle une planification méthodique de la répression exercée contre les tirailleurs ces anciens combattants africains démobilisés après avoir participé à la libération de la France durant la Seconde Guerre mondiale.
Ces soldats, revenus du front européen, réclamaient simplement leur solde et un traitement égal à celui de leurs camarades français. En guise de réponse, l’armée coloniale ouvrit le feu sur eux dans le camp de Thiaroye, à la périphérie de Dakar.
Le bilan officiel fait état de 35 morts, mais le rapport estime que le nombre réel de victimes se situerait entre 300 et 400, sans compter les disparus dont les corps n’ont jamais été retrouvés.
Les historiens accusent la France d’avoir « maquillé » les registres militaires, modifié les listes de soldats embarqués et falsifié les rapports pour effacer la trace du massacre. Un silence d’État entretenu depuis près de 80 ans.
Reprendre la parole historique africaine
Pour Mamadou Diouf, ce travail marque un tournant majeur :
« C’est un exercice de reprise du droit de narrer notre propre histoire, hors du soliloque impérial », a-t-il déclaré en remettant le rapport à Bassirou Diomaye Faye.
Cette approche vise à redonner voix aux victimes africaines et à sortir de la version officielle longtemps imposée par Paris.
Le rapport salue aussi l’engagement du Sénégal pour la reconnaissance et la justice, après des décennies de silence.
Mémoire, justice et amertume diplomatique
Si le président Emmanuel Macron a reconnu, dans une lettre adressée à Bassirou Diomaye Faye en novembre dernier, la « responsabilité de la France » dans ce massacre, le Sénégal réclame désormais l’ouverture complète des archives militaires et coloniales.
Une demande restée lettre morte, suscitant une « amertume » du chef de l’État sénégalais, qui déplore une coopération mémorielle à sens unique.
Le Sénégal prévoit par ailleurs la création d’un mémorial à Thiaroye, d’un centre de documentation et d’une journée nationale du Tirailleur, le 1er décembre de chaque année.
Ces mesures visent à inscrire durablement le souvenir des tirailleurs dans la conscience collective et dans l’enseignement national.
Un devoir de mémoire partagé
Ce rapport vient rappeler que la France doit encore affronter une part occultée de son histoire : celle des violences coloniales.
Au-delà des chiffres et des responsabilités, le massacre de Thiaroye reste un symbole puissant celui de soldats africains trahis par la puissance qu’ils avaient contribué à sauver.
Paul Lamier Grandes Lignes avec (AFP)












