Ancien PDG du groupe pétrolier Elf et acteur central des grandes heures et des grands scandales de la Françafrique, Loïk Le Floch-Prigent est mort ce 16 juillet 2025 à l’âge de 81 ans, des suites d’un cancer. Sa disparition marque la fin d’un chapitre sulfureux de la politique française en Afrique, entre réseaux d’influence, affaires d’État et détournements financiers.
Une ascension fulgurante dans l’industrie publique
Ingénieur chimiste de formation, Loïk Le Floch-Prigent avait dirigé plusieurs fleurons industriels français avant de prendre les rênes d’Elf Aquitaine entre 1989 et 1993. À la tête de ce géant pétrolier alors sous tutelle étatique, il devient rapidement un homme clé de l’influence française en Afrique, à l’intersection des sphères politiques, diplomatiques et économiques.
Mais cette position stratégique sera aussi sa chute. Sous sa direction, Elf est accusé d’avoir alimenté un vaste système de rétrocommissions et de caisses noires au bénéfice de dirigeants africains et de personnalités politiques françaises.
Le procès Elf, symbole d’un système
En 2003, Le Floch-Prigent est condamné à cinq ans de prison, dont deux avec sursis, pour abus de biens sociaux dans l’affaire Elf l’un des plus grands scandales politico-financiers de la Ve République. L’enquête menée par la juge Eva Joly révèle un système international de corruption impliquant des figures comme Roland Dumas, alors ministre des Affaires étrangères, et Charles Pasqua, ancien ministre de l’Intérieur.
Le procès éclabousse jusqu’aux plus hauts sommets de l’État et met en lumière les dérives de la diplomatie parallèle française, notamment en Afrique, où Elf jouait un rôle de véritable ambassade officieuse.
De Paris à Lomé, les déboires judiciaires se poursuivent
En 2012, c’est en Afrique que resurgissent les ennuis judiciaires du « patron des patrons ». Alors reconverti en consultant dans le secteur énergétique, il est arrêté à Abidjan, en Côte d’Ivoire, puis extradé vers le Togo dans le cadre d’une affaire d’escroquerie présumée. Incarcéré pendant cinq mois, il est soupçonné d’avoir joué un rôle dans une tentative d’arnaque financière autour de l’homme politique togolais Pascal Bodjona.
Loïk Le Floch-Prigent nie toute implication dans cette affaire, qu’il qualifiera plus tard de « piège », et regagne la France en 2013. En 2017, il publie Carnets de route d’un Africain, un ouvrage dans lequel il revient sur ses années d’engagement sur le continent et sa vision des enjeux énergétiques africains.
Un symbole controversé de la Françafrique
La trajectoire de Le Floch-Prigent, entre succès industriel et déchéance judiciaire, incarne les ambiguïtés de la politique africaine de la France dans les années 1980 et 1990. Homme de réseaux, brillant stratège autant que gestionnaire contesté, il reste l’un des visages les plus emblématiques et controversés de la Françafrique.
Avec sa disparition, c’est un acteur clé d’une époque marquée par l’opacité, les deals souterrains et les intérêts croisés entre Paris et plusieurs capitales africaines qui s’efface, emportant avec lui une part des secrets d’une ère que la France, et l’Afrique, cherchent encore à dépasser.
Paul Lamier Grandes Lignes