Face à l’érosion de l’aide internationale, les prêteurs publics du continent testent l’émission d’obligations pour diversifier leurs financements, mais les risques sont considérables
En septembre, Sidi Ould Tah, ancien ministre mauritanien des Finances, prendra la tête de la Banque africaine de développement (BAD). Sa mission s’annonce délicate : trouver des relais de financement privés alors que les donateurs occidentaux réduisent leurs contributions. Washington a récemment donné le ton. Quelques jours avant son élection, l’administration Trump a annoncé une coupe de 550 millions de dollars dans le soutien américain à la BAD et au Fonds africain de développement (FAD), sa branche consacrée aux prêts concessionnels aux pays les plus fragiles.
Ce désengagement, combiné aux coupes britanniques et allemandes, a contraint le FAD à réduire son plan de mobilisation de 25 milliards de dollars. Mais il a aussi ouvert la voie à une innovation majeure : dès 2027, le Fonds émettra des obligations sur les marchés internationaux, à hauteur de 5 milliards de dollars tous les trois ans. Une première pour cette institution créée pour aider les États les plus pauvres du continent.
L’épreuve du marché
L’émission obligataire place le FAD aux côtés d’un petit groupe de banques de développement africaines qui se tournent vers les marchés financiers pour se diversifier. Mais cette stratégie comporte une difficulté structurelle : ces institutions empruntent à des taux de marché pour ensuite prêter à des conditions avantageuses. Comment équilibrer les comptes sans reporter la charge sur les États déjà fragilisés par le surendettement ?
« Plus ces institutions émettent d’obligations, plus les donateurs risquent de se désengager », prévient Chris Humphrey, spécialiste de la finance du développement à l’ODI. La tentation pourrait être de transformer des subventions en prêts plus coûteux, au risque d’aggraver la détresse de la dette dans nombre de pays africains.
Une position favorable mais fragile
La BAD bénéficie d’un statut unique : sa notation triple A, héritée de son statut de créancier privilégié, lui donne un accès facilité aux marchés. En revanche, d’autres banques régionales en expansion, comme Afreximbank ou la TDB, ont vu leur statut contesté dans les récentes restructurations de dette au Ghana, en Zambie ou au Malawi. Ces incertitudes compliquent leur capacité à lever des fonds.
Selon Finance in Common, les institutions africaines représentent 19 % du nombre de banques de développement dans le monde, mais moins de 1 % des 23 000 milliards d’actifs gérés. Seule une centaine sur plus de 530 recourent régulièrement aux marchés obligataires ou aux mécanismes de partage de risque pour élargir leur capacité de prêt.
Innover pour attirer les investisseurs
Certaines institutions africaines ont fait preuve de dynamisme. L’AfDB a émis en 2023 un instrument hybride une dette de type action et, dès 2018, avait déjà expérimenté la titrisation dite « synthétique », transférant une partie du risque des prêts à des investisseurs privés. Des innovations qui, à l’époque, avaient devancé leurs homologues européens et latino-américains.
Pour de grands gestionnaires d’actifs comme Pimco, ces partenariats sont une opportunité : « Les banques de développement ont des actifs mais manquent de bilan ; nous avons le bilan et cherchons des actifs », explique Pramol Dhawan. Cette logique de complémentarité pourrait accélérer les financements. Mais la question demeure : jusqu’où les banques publiques africaines peuvent-elles transférer leur risque sans éroder leur statut de créancier privilégié, fondement de leur crédibilité ?
Un tournant stratégique pour le continent
Avec le retrait progressif de l’aide occidentale, le recours aux marchés devient inévitable pour financer les objectifs de développement durable. Mais ce choix entraîne un dilemme : préserver la vocation concessionnelle des banques de développement, tout en rassurant des investisseurs privés exigeants.
Rémy Rioux, président du réseau Finance in Common, estime que le nombre d’institutions africaines accédant aux marchés pourrait doubler d’ici cinq ans, à condition que les émissions obligataires se normalisent. Mais cette transformation ne sera pas sans heurts : elle impose de concilier solidarité internationale et logique financière, au risque de creuser la dépendance des pays africains à des dettes plus lourdes.
Adonis Kanga Grandes Lignes












