DOSSIER | Diplomatie sous tension face à la guerre à Gaza
Alors que les bombes continuent de tomber sur Gaza, une rupture inédite semble s’opérer entre Israël et plusieurs de ses alliés historiques. À mesure que l’offensive terrestre s’intensifie, des condamnations sans précédent fusent depuis l’Europe et l’Amérique du Nord. Un tournant dans les relations internationales de l’État hébreu, longtemps protégé par un rempart diplomatique solide.
Une offensive militaire, une riposte diplomatique
Lancée récemment par le Premier ministre Benyamin Nétanyahou, l’offensive « étendue » dans la bande de Gaza, censée affaiblir le Hamas et obtenir la libération d’otages, a également réveillé la colère de plusieurs partenaires occidentaux. Le 19 mai, le Royaume-Uni, la France et le Canada ont publié leur condamnation la plus ferme depuis le début du conflit, dénonçant une opération « totalement disproportionnée ».
En réponse, Nétanyahou a accusé ces pays de « récompenser » le Hamas, estimant que leur position revenait à légitimer les attaques du 7 octobre 2023. Une rhétorique qui ne semble plus convaincre ses interlocuteurs habituels.
L’Union européenne revoit ses engagements
Symbole du changement de ton européen : l’Union européenne a annoncé le réexamen de son accord d’association avec Israël, en vigueur depuis 2000. Longtemps isolées, l’Espagne et l’Irlande étaient les seules à militer pour cette mesure. Elles ont été rejointes par 17 États membres, parmi lesquels les Pays-Bas et la France.
La motivation ? Selon plusieurs capitales européennes, Israël aurait enfreint les principes du droit humanitaire international socle de l’article 2 de l’accord. Le ministre français Jean-Noël Barrot a qualifié de « légitime » cette réévaluation. Un changement de cap qui pourrait avoir des conséquences économiques lourdes pour Israël, dont l’UE reste le premier partenaire commercial.
Pressions britanniques et tournant espagnol
De son côté, Londres a suspendu les négociations sur un accord de libre-échange avec Israël et imposé de nouvelles sanctions contre des colons et des groupes extrémistes en Cisjordanie. Le chef de la diplomatie britannique, David Lammy, a qualifié la situation de « moralement intolérable ». Le Royaume-Uni a convoqué l’ambassadeur israélien, signe d’un refroidissement diplomatique rarement observé.
En Espagne, le Parlement a commencé l’examen d’une proposition de loi visant à instaurer un embargo sur les armes destinées à Israël. Soutenu par le parti socialiste du Premier ministre Pedro Sánchez, ce texte reflète une volonté de mettre les actes en cohérence avec les paroles.
Washington reste en retrait, mais Trump s’isole de Nétanyahou
Alors que ses alliés européens durcissent le ton, les États-Unis demeurent ambigus. Aucune condamnation publique directe de l’offensive israélienne n’a été émise. Toutefois, le président Trump a multiplié les signaux de désaccord avec Nétanyahou. Il a notamment négocié directement avec le Hamas la libération du dernier otage américain vivant, contournant le gouvernement israélien.
Surtout, lors de sa récente tournée au Moyen-Orient, Trump a soigneusement évité Tel-Aviv, une omission éloquente. Ce double jeu diplomatique reflète les tensions croissantes entre l’administration Trump et le gouvernement israélien, pourtant alliés naturels.
Une fracture politique et symbolique
Pour les observateurs, ce glissement occidental est symbolique d’un basculement diplomatique. Les critiques contre Israël, autrefois limitées à la société civile ou à des partis minoritaires, proviennent désormais de chefs d’État. La déclaration conjointe du 19 mai en est l’exemple le plus marquant : « Nous ne resterons pas les bras croisés pendant que le gouvernement Nétanyahou poursuit ces actions scandaleuses. »
La BBC rappelle que ce changement de posture a été accéléré par un événement clé : le 23 mars 2025, une frappe israélienne a tué 15 membres du personnel médical à Gaza, provoquant une onde de choc dans les capitales occidentales. Ce drame a servi de catalyseur politique, cristallisant l’indignation croissante.
Vers une reconnaissance de l’État palestinien ?
Derrière les sanctions économiques ou les condamnations verbales, une autre perspective prend forme : la reconnaissance de la Palestine comme État souverain. La France et le Royaume-Uni évoquent désormais cette possibilité, jadis taboue. Une mesure qui marquerait un basculement historique dans les relations internationales au Moyen-Orient.
Un isolement croissant d’Israël
Entre pressions commerciales, gel des accords bilatéraux et critiques diplomatiques, l’isolement d’Israël semble se renforcer. Si la guerre se poursuit, ces signaux politiques pourraient se transformer en mesures concrètes aux effets durables, tant économiques que stratégiques.
Dans ce contexte tendu, le gouvernement israélien est confronté à un choix : poursuivre coûte que coûte son objectif militaire, au risque d’une rupture avec ses alliés, ou accepter de nouvelles concessions diplomatiques. Une équation aux conséquences lourdes pour la stabilité régionale comme pour l’équilibre de ses alliances internationales.
Paul Lamier Grandes Lignes