L’Âge d’Or du Mobutisme – Entre Illusion de Prospérité et Corruption Systémique
Une Façade de Prospérité
Les années 1970 représentent ce que l’on pourrait appeler l’âge d’or du Mobutisme. Le régime de Mobutu Sese Seko connaît une période de stabilité apparente, soutenue par des revenus miniers conséquents et un soutien international massif. En pleine guerre froide, Mobutu se positionne comme un allié stratégique des puissances occidentales, notamment les États-Unis et la France. Le Zaïre semble prospère, les grands projets se multiplient, et Mobutu se présente comme un leader panafricain. Pourtant, derrière cette façade de modernité, le pays sombre dans une corruption institutionnalisée, où une élite prédatrice s’enrichit tandis que la population s’appauvrit.

1. Le Soutien Occidental : Mobutu, un Rempart contre le Communisme
1.1. La Guerre Froide en Afrique : Le Rôle Stratégique du Zaïre
- Le Zaïre de Mobutu devient un pion stratégique dans la lutte mondiale entre les États-Unis et l’URSS.
- En échange de son soutien aux mouvements anti-communistes, Mobutu reçoit une aide économique et militaire massive.
- Washington considère Mobutu comme un allié fiable : la CIA soutient financièrement son régime, et les conseillers militaires américains entraînent ses troupes.
- En 1975, lors de la guerre civile en Angola, Mobutu soutient l’UNITA de Jonas Savimbi, un mouvement anti-communiste, avec l’appui des États-Unis et de l’Afrique du Sud.


1.2. Le Soutien Français : Une Relation Privilégiée avec Paris
- La France, sous Valéry Giscard d’Estaing, voit en Mobutu un allié en Afrique centrale.
- En 1977 et 1978, lors des deux guerres du Shaba (rébellions dans la province minière de Katanga), les troupes françaises interviennent pour sauver le régime de Mobutu.
- Le président français Jacques Chirac qualifie Mobutu de “frère” et de “grand ami”, et les liens économiques entre Paris et Kinshasa se renforcent.



2. Une Économie Basée sur les Matières Premières : Le Mirage du Cuivre
2.1. Les Ressources Minières : La Richesse du Zaïre
- Le Zaïre est l’un des principaux producteurs mondiaux de cuivre, de cobalt et de diamants.
- La compagnie publique Gécamines (Générale des Carrières et des Mines) devient la principale source de devises pour le pays.
- Les revenus miniers permettent au régime de financer des projets de prestige :
- Le Barrage d’Inga, un gigantesque projet hydroélectrique.
- La construction du Palais de la Nation à Kinshasa.
- L’organisation de grands événements internationaux, comme le combat de boxe “Rumble in the Jungle” entre Muhammad Ali et George Foreman en 1974.
- Le Barrage d’Inga, un gigantesque projet hydroélectrique.

2.2. La “Zaïrianisation” : Une Politique Économique Désastreuse
- En 1973, Mobutu lance la “Zaïrianisation”, une politique de nationalisation des entreprises étrangères.
- Les plantations, les industries et les commerces détenus par des étrangers sont expropriés et redistribués à des citoyens zaïrois, souvent proches du régime.
- Mais ces bénéficiaires, souvent incompétents, pillent les entreprises au lieu de les gérer.
- En 1974, Mobutu doit renverser cette politique sous le nom de “Radicalisation”, permettant à certains propriétaires étrangers de revenir, mais le mal est déjà fait.
- L’économie s’effondre, la production minière chute, et le pays s’endette massivement.
3. Le Culte de la Personnalité et la Propagande d’État
3.1. Le “Père de la Nation” : Une Image Omniprésente
- Mobutu se présente comme le “Père de la Nation”, “Le Sauveur”, “Le Guide éclairé”.
- Son portrait est omniprésent : dans les écoles, les bureaux, les casernes, et même sur les billets de banque.
- Les médias publics, strictement contrôlés par l’État, diffusent en continu des discours de Mobutu et des chansons louant sa grandeur.
- Les citoyens doivent prêter allégeance au président et au MPR (Mouvement Populaire de la Révolution), le parti unique.
3.2. La Révolution Zaïroise Authentique : Une Idéologie Instrumentalisée
- Mobutu impose la “Révolution zaïroise authentique”, une idéologie prônant un retour aux valeurs africaines.
- Le pays est rebaptisé “Zaïre” en 1971, rejetant les symboles coloniaux.
- Les noms de villes sont africanisées : Léopoldville devient Kinshasa, Stanleyville devient Kisangani.
- Les citoyens sont encouragés à abandonner leurs noms chrétiens pour adopter des noms africains.
3.3. La Manipulation des Symboles
- Mobutu se met en scène comme un chef traditionnel africain, arborant son célèbre chapeau en léopard.
- Il participe aux cérémonies avec une tenue d’inspiration traditionnelle, renforçant son image de leader authentique.
- Les festivités nationales deviennent des événements de propagande où les foules acclament le président.

4. La Corruption Institutionnalisée : Le Système de Prédation
4.1. Le Patrimonialisme : Le Pays comme Propriété Personnelle
- Mobutu gère le Zaïre comme sa propriété personnelle.
- Les revenus miniers et les aides internationales sont détournés sur des comptes bancaires suisses appartenant à Mobutu et à ses proches.
- Les postes de direction dans les entreprises publiques et l’administration sont réservés aux membres de l’élite proche du régime.
4.2. La Corruption à Tous les Niveaux de l’État
- Les ministres, les gouverneurs et les officiers de l’armée s’enrichissent en détournant les fonds publics.
- Les fonctionnaires imposent des “taxes” informelles pour chaque service rendu.
- Les militaires, mal payés, se livrent à l’extorsion et au pillage pour survivre.
4.3. Le Clientélisme et la Récompense de la Loyauté
- Mobutu distribue les richesses et les postes pour s’assurer la fidélité de ses partisans.
- Les opposants politiques qui acceptent de se rallier au régime reçoivent des privilèges économiques.
- Les dirigeants provinciaux sont choisis parmi les fidèles du président.

5. Une Prosperité Illusoire : Les Signes de la Décadence
5.1. La Dépendance aux Matières Premières
- Le modèle économique du Zaïre repose uniquement sur les recettes minières, ce qui rend le pays vulnérable aux fluctuations des prix mondiaux.
- La chute des prix du cuivre à la fin des années 1970 plonge le pays dans une crise économique.
5.2. Une Population Appauvrie et Réprimée
- Tandis que l’élite s’enrichit, la majorité de la population s’appauvrit.
- Les infrastructures (routes, écoles, hôpitaux) se dégradent.
- Les révoltes populaires, notamment des mutineries de soldats, sont violemment réprimées.
Les années 1970 représentent l’apogée du Mobutisme, mais cette prospérité est une illusion. Derrière les grands projets et les soutiens occidentaux, le Zaïre est un État prédateur, où une élite corrompue s’enrichit tandis que la population s’appauvrit. Les bases de la crise qui emportera le régime sont déjà posées.
Paul Lamier Grandes Lignes