Lecture 06 min. Publié le 13 octobre 2025 à 00h03
À 92 ans, Paul Biya joue peut-être sa dernière partition politique. Le Cameroun a voté dimanche dans un climat à la fois calme et chargé d’incertitudes. Si le chef de l’État, au pouvoir depuis 1982, reste le grand favori, les signaux venus des urnes et de la rue laissent entrevoir un scénario moins prévisible qu’à l’accoutumée.
Un scrutin sans incident… mais pas sans défiance
Le vote s’est déroulé sans heurts majeurs, selon le ministre de l’Administration territoriale. Pourtant, derrière la façade d’un scrutin maîtrisé, c’est une défiance sourde qui traverse le pays. L’appel du gouvernement à ne pas publier de résultats avant la proclamation officielle du Conseil constitutionnel illustre cette crispation.
Le Conseil a jusqu’au 26 octobre pour officialiser les résultats. En attendant, le pays retient son souffle. À Yaoundé comme à Garoua, les premières estimations officieuses font déjà bruisser les réseaux sociaux, notamment autour d’un nom : Issa Tchiroma Bakary.
Issa Tchiroma, l’homme de la surprise
Ancien ministre et fidèle du régime, Tchiroma a rompu avec le pouvoir en juin pour se présenter contre Biya. À 79 ans, il incarne paradoxalement un renouveau que beaucoup n’attendaient plus.
Dans son fief du Nord, son passage a déclenché un enthousiasme inattendu des scènes de liesse populaire, des slogans hostiles au président sortant, et une ferveur qui rappelle les débuts des grandes alternances africaines.
« C’est la première fois que je vois une élection où les gens croient que le changement est possible », confie un électeur rencontré à Yaoundé.
Mais les observateurs restent prudents. « Le système Biya a l’expérience et les leviers du pouvoir », analyse le politologue Stéphane Akoa. « Ce scrutin est sans doute plus ouvert que les précédents, mais pas forcément plus transparent. »
Une campagne à deux vitesses
Paul Biya a mené une campagne minimaliste, fidèle à sa méthode : quelques apparitions tardives, un discours de continuité, et une mise en scène du “père de la nation” au-dessus de la mêlée.
À Maroua, son meeting a réuni quelques centaines de partisans, bien loin des 25 000 annoncés par son entourage.
En face, Tchiroma a rempli les rues, jouant la carte du terrain, des symboles et du ralliement des déçus du système.
Mais la bataille reste inégale. Le président sortant bénéficie d’un appareil électoral rodé, d’un maillage territorial solide, et d’une administration qui lui reste largement loyale.
Un pays à bout de souffle
Le Cameroun traverse une lassitude profonde. Quarante pour cent de la population vit sous le seuil de pauvreté, le chômage des jeunes dépasse 35 %, et les régions anglophones restent le théâtre d’un conflit meurtrier.
Les promesses d’infrastructures et de stabilité ne suffisent plus à calmer la frustration.
« Les Camerounais n’attendent plus des promesses, mais une respiration », résume un observateur à Douala.
Entre continuité et sursaut
Si Paul Biya devait l’emporter, ce serait son huitième mandat à la tête du pays.
Mais même au sein de son parti, le RDPC, la question de la succession se fait pressante. Les équilibres internes, longtemps tenus d’une main ferme, pourraient s’effriter dans les mois à venir.
La candidature Tchiroma, qu’on croyait symbolique, a redonné vie à une opposition moribonde. Même si elle ne l’emporte pas, elle marque un tournant : celui d’un électorat qui ose, enfin, défier l’ordre établi.
Le véritable enjeu de cette élection ne réside peut-être pas dans le nom du vainqueur, mais dans la réaction du pays.
La jeunesse camerounaise, connectée, impatiente, observe.
Et le monde, une fois encore, scrute un scrutin où se joue plus qu’un pouvoir : la capacité du Cameroun à se réinventer.
Paul Lamier Grandes Lignes












