Lecture 08 min. Publié le 15 octobre 2025 à 19h15
Le Kremlin rouvre le dossier syrien en recevant Ahmed al-Shara, le nouveau président de Damas. Une rencontre à haute portée symbolique, dans un pays qui abrite encore l’ancien maître de la Syrie, Bachar al-Assad.
Un tête-à-tête chargé de symboles
Dans les ors du Kremlin, l’image a surpris le monde diplomatique : Vladimir Poutine recevant Ahmed al-Shara, le nouveau président syrien, pour des entretiens officiels à Moscou.
Une scène à la fois historique et déroutante, tant la Russie fut longtemps le protecteur du régime Assad dont elle accueille aujourd’hui le successeur et adversaire.
Ce tête-à-tête marque la volonté affichée des deux dirigeants d’ouvrir un nouveau chapitre dans des relations profondément marquées par la guerre. Pendant treize ans, Moscou a soutenu militairement Bachar al-Assad, bombardant les positions rebelles dirigées alors par al-Shara. Mais depuis la chute de Damas, en décembre dernier, le Kremlin opère un repositionnement spectaculaire.
De l’ennemi d’hier à l’allié d’aujourd’hui
Pour Ahmed al-Shara, ancien chef rebelle devenu chef d’État, cette visite est une consécration politique.
Elle symbolise sa reconnaissance internationale et le retour progressif de la Syrie dans le jeu diplomatique mondial.
Devant Vladimir Poutine, le président syrien a salué « la longue amitié entre Moscou et Damas », souhaitant la « redéfinir sur de nouvelles bases ». Le Kremlin, lui, s’en tient à la ligne de continuité : « Les relations entre la Syrie et la Russie ont toujours été amicales », a déclaré M. Poutine, comme pour effacer les années de guerre.
Derrière cette rhétorique, le calcul russe reste limpide : préserver à tout prix ses positions stratégiques à Hmeimim et Tartous ses uniques bases militaires au Moyen-Orient.
Accueillir al-Shara, tout en protégeant Assad, permet à Moscou d’assurer la pérennité de sa présence régionale, quel que soit le régime en place à Damas.
Une Syrie encore éclatée
Sur le terrain, la réalité demeure fragile.
Le nord-est reste dominé par une milice kurde soutenue par Washington, tandis que les Druzes tiennent le sud.
Entre reconstruction inachevée, divisions communautaires et économie exsangue, Ahmed al-Shara hérite d’un État morcelé dont la survie dépend encore des appuis extérieurs.
Sa visite à Moscou s’inscrit donc dans une stratégie de consolidation : regagner en légitimité et sécuriser le soutien militaire et économique du Kremlin.
Le président syrien a d’ailleurs évoqué la contribution russe à la reconstruction post-guerre, notamment dans le secteur énergétique.
Le calcul du Kremlin
Pour Vladimir Poutine, l’enjeu dépasse la Syrie.
Cette rencontre illustre la volonté de la Russie de demeurer un acteur clé au Moyen-Orient, à un moment où les États-Unis se recentrent sur Gaza et où la Chine avance ses ambitions économiques dans la région.
En entretenant à la fois des liens avec l’ancien régime d’Assad et avec le nouveau pouvoir d’al-Shara, le Kremlin tente d’incarner la continuité stratégique russe fidèle à son pragmatisme traditionnel.
Mais cette double loyauté est périlleuse : le nouveau président syrien a déjà laissé entendre qu’il demanderait l’extradition de Bachar al-Assad, réfugié en Russie.
« Al-Shara doit aborder cette question pour des raisons politiques internes, mais il sait que Moscou ne peut pas accéder à sa requête », estime Anton Mardasov, expert des affaires militaires russes.

Une diplomatie du grand écart
Cette politique d’équilibre illustre la doctrine Poutine : s’adapter pour durer.
La Russie ne cherche plus à imposer une vision, mais à conserver des leviers d’influence.
Entre Assad, l’allié déchu mais protégé, et al-Shara, le nouveau partenaire, Moscou transforme une défaite en opportunité.
Mais le pari reste risqué.
Soutenir un ancien rebelle islamiste tout en hébergeant l’ex-président qu’il a renversé fragilise la position russe dans le monde arabe.
Le Kremlin joue désormais sur deux tableaux : préserver son image de puissance fidèle tout en s’ouvrant à un nouvel ordre syrien.
Une ère nouvelle, mais incertaine
Cette rencontre au Kremlin clôt une décennie de guerre sans vraiment en ouvrir une nouvelle.
Moscou, en légitimant le nouveau pouvoir tout en protégeant l’ancien, cherche avant tout à maintenir son influence.
Quant à Damas, elle reste dépendante de cette tutelle russe, tiraillée entre souveraineté et survie.
Dans ce jeu d’équilibres mouvants, la Syrie d’Ahmed al-Shara demeure un pays sous influence, et la Russie de Poutine, une puissance qui refuse le déclin.
Une alliance de nécessité, bâtie sur les ruines de la guerre, révélatrice d’un monde où les vaincus et les protecteurs se confondent désormais dans la même logique de survie.
Emmanuel Christ SN Grandes Lignes












