À l’approche de l’élection présidentielle de 2025, les premiers signaux d’un possible tournant politique apparaissent au Cameroun. Tandis que Paul Biya garde le silence sur son avenir, deux figures issues du régime rompent les rangs pour se repositionner. Mais le doute persiste : changement réel ou recyclage stratégique ?
Depuis son palais d’Etoudi, Paul Biya se tait. À 92 ans, le chef de l’État camerounais, au pouvoir depuis 1982, reste officiellement le candidat de son parti, le RDPC, pour la présidentielle prévue en octobre. Pourtant, ses apparitions sont rares, les rumeurs sur sa santé se multiplient, et dans le silence du sommet, les ambitions se libèrent.
En moins d’une semaine, deux poids lourds du système ont claqué la porte du gouvernement pour entrer en campagne. D’abord Issa Tchiroma Bakary, ex-ministre de l’Emploi et président du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC), puis Maïgari Bello Bouba, ministre d’État et leader de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), parti historiquement allié à Biya. Tous deux originaires du Nord et anciens adversaires du président au scrutin de 1992, ils font leur retour dans l’arène, plus de trente ans après leur premier échec.
Des candidatures sous surveillance : rupture ou diversion ?
Leur revirement, aussi spectaculaire que tardif, suscite scepticisme et critiques. Pour de nombreux analystes et opposants, ces deux candidatures ne visent pas l’alternance, mais la dispersion du vote.
« Ce sont des pions du pouvoir. Leur rôle est d’absorber les voix du Nord et d’étouffer la dynamique du MRC de Maurice Kamto », accuse un cadre de l’opposition.
Une thèse que partage le professeur Séverin Tchokonte de l’Université de Garoua, selon qui ces candidatures pourraient n’être qu’un calcul politique pour neutraliser une opposition crédible, à commencer par celle du MRC, qui tente de s’implanter dans les régions historiquement fidèles au RDPC.
Le Nord, épicentre d’un ras-le-bol populaire
Pourtant, Issa Tchiroma tente de se positionner en porte-voix d’un Nord abandonné. Dans ses discours, il martèle la misère, le chômage, l’absence d’eau et d’électricité. Des constats que personne ne conteste. Longtemps bastion du pouvoir, cette région apparaît aujourd’hui comme un baril de poudre social. Et même certains anciens du régime se disent convaincus que le statu quo n’est plus tenable.
« Soutenir encore le régime, c’est trahir une population qui n’a plus rien », résume un militant du FSNC.
Un peuple lassé, une opposition fragmentée
La dernière présidentielle, en 2018, avait déjà illustré la défiance croissante envers le processus électoral : seuls 3,5 millions de votants sur plus de 6,6 millions d’inscrits s’étaient déplacés. Le scrutin avait été entaché de violences, de soupçons de fraude et d’une abstention massive, notamment chez les jeunes.
Aujourd’hui, si la volonté de changement semble plus visible, notamment sur les réseaux sociaux, elle peine encore à se structurer. Maurice Kamto reste la figure la plus médiatisée de l’opposition, mais il fait face à un appareil d’État verrouillé et à une multiplication de candidatures qui diluent les chances de percée.
« Il ne suffira plus à l’élite de passer une consigne de vote. Le rejet du système est devenu transversal, générationnel, et profond », estime Anicet Ekane, opposant de longue date et président du MANIDEM.
Une transition verrouillée par un homme, un système, un parti
Malgré les appels à l’alternance et les défections au sommet, le pouvoir conserve les leviers essentiels : administration électorale, forces de sécurité, médias d’État. Paul Biya, dans ses rares prises de parole, continue d’afficher une sérénité imperturbable.
« Ma détermination à vous servir demeure intacte », affirmait-il en décembre dernier.
« Ne prêtez pas l’oreille aux sirènes du chaos », lançait-il en février.
Officiellement, rien ne permet d’affirmer qu’il ne se présentera pas. Officieusement, tous les regards se tournent vers ses proches, dans l’attente d’un éventuel plan de succession.
Vers une présidentielle sans surprise ou une fracture inattendue ?
Le Cameroun entre dans une phase d’incertitude politique rare. À quelques mois du scrutin, les lignes bougent, les ambitions s’affichent, les frustrations grandissent. Mais le verrouillage institutionnel et la stratégie de dispersion du pouvoir pourraient bien neutraliser toute dynamique de rupture.
Si le régime parvient une fois de plus à maintenir sa mainmise sur l’élection, l’après-Biya pourrait n’être qu’un changement de façade. Mais si la colère populaire trouve un canal, la présidentielle de 2025 pourrait marquer un véritable tournant.
Paul Lamier Grandes Lignes












