29 Avr 2025, mar

Quand le Qatar tisse une prochaine paix factice

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Doha s’est imposé comme un médiateur inattendu dans la crise qui oppose Kinshasa et Kigali à propos de la rébellion du M23 dans l’est de la RDC

Le président congolais Félix Tshisekedi et son homologue rwandais Paul Kagame se sont retrouvés en catimini au Qatar pour tenter d’enrayer un conflit alimenté par des années de méfiance et de violences. Ils en sont ressortis avec l’annonce d’un cessez-le-feu « immédiat et inconditionnel ». Cette percée diplomatique, orchestrée par l’émir du Qatar, met en lumière le rôle grandissant de Doha sur la scène africaine ainsi que ses intérêts stratégiques dans la région. Mais sur le terrain, la poursuite des combats et l’entêtement des rebelles du M23 soulignent les limites de cet accord et entretiennent le doute sur la possibilité d’une paix durable.

Rencontre surprise à Doha

Mardi 18 mars 2025, les deux « frères ennemis » d’Afrique centrale se sont rencontrés à Doha pour la première fois depuis la résurgence du M23 il y a plus d’un an . Cette rencontre secrète, médiatisée a posteriori par un communiqué officiel, a été pilotée par le Qatar lui-même. Une photo diffusée par l’agence de presse de l’État qatari montre le président Tshisekedi et le président Kagame discutant sous l’œil bienveillant de l’émir Tamim ben Hamad Al Thani . Doha a ainsi réussi là où d’autres initiatives régionales avaient échoué, en réunissant autour de la même table deux dirigeants dont les relations diplomatiques étaient au plus bas.

Au menu des discussions : l’insurrection dans l’est congolais. Au terme de la rencontre, Kinshasa et Kigali ont réaffirmé leur engagement en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et sans conditions préalables , renvoyant aux précédents accords négociés dans le cadre de l’Union africaine. Cette déclaration conjointe reste cependant vague : aucun détail n’a filtré sur les modalités d’application ou de suivi de cette trêve . En clair, pas de calendrier précis, ni de mécanisme de vérification sur le terrain – un flou qui n’a pas manqué d’alimenter le scepticisme des observateurs.

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Tensions persistantes entre Kinshasa et Kigali

Si cette médiation qatarie a surpris, c’est que les tensions entre la RDC et le Rwanda avaient atteint un niveau critique ces derniers mois. Kinshasa accuse depuis longtemps Kigali de soutenir en sous-main le M23, un groupe rebelle principalement actif au Nord-Kivu, qui a multiplié les offensives spectaculaires. Début 2025, ces combattants bien armés ont réussi à s’emparer de vastes portions de territoire congolais, prenant successivement les villes stratégiques de Goma puis de Bukavu . Face à eux, l’armée congolaise a essuyé de sérieux revers, éveillant le spectre des guerres régionales qui avaient ravagé l’Afrique centrale entre 1996 et 2003 (un conflit qui avait fait des millions de morts) . Chaque camp campe sur ses positions : Kinshasa voit la main du Rwanda derrière les rebelles, tandis que Kigali dément et riposte qu’il ne fait que se défendre contre des milices hostiles opérant depuis le Congo .

Les racines de cette crise remontent aux répercussions du génocide de 1994 au Rwanda, après lequel des auteurs présumés des massacres ont trouvé refuge dans l’est congolais . La région regorge par ailleurs de minerais précieux, attisant les convoitises et alimentant les conflits locaux depuis des décennies . Aujourd’hui, une centaine de groupes armés sèment l’insécurité dans l’est de la RDC , mais le M23 est devenu l’acteur le plus en vue, cristallisant le contentieux entre Kinshasa et Kigali. Les relations diplomatiques entre les deux voisins se sont détériorées à mesure que la rébellion gagnait du terrain. Le Rwanda exige que la RDC négocie directement avec les chefs du M23, une condition que le président Tshisekedi a longtemps refusée, considérant ces rebelles comme de simples « marionnettes » manipulées par Kigali . Cette impasse a fait échouer en décembre 2024 un précédent sommet de paix piloté par l’Angola, où aucun accord n’a pu être signé faute de compromis sur le rôle du M23 dans les pourparlers .

Doha, nouveau médiateur sur la scène africaine

C’est dans ce contexte qu’est apparu le Qatar comme médiateur alternatif. Ni voisin de la RDC ou du Rwanda, ni puissance occidentale, ce petit État du Golfe jouit d’une image de « facilitateur neutre », sans passif colonial en Afrique et sans exigences liées aux droits de l’homme susceptible de froisser les dirigeants concernés . Le président angolais João Lourenço, mandaté par l’Union africaine pour tenter une médiation, n’inspirait qu’une confiance limitée à Paul Kagame, qui le soupçonnait de partialité en faveur de Kinshasa . Quant aux pays occidentaux, leur rôle était d’emblée compliqué : l’Union européenne a sanctionné les chefs du M23 et critiqué ouvertement Kigali, s’attirant l’ire du régime rwandais . Dans ce vide diplomatique, Doha a su se positionner. D’après un diplomate informé des tractations, ce sont Tshisekedi et Kagame eux-mêmes qui ont sollicité la médiation qatarie, dans l’espoir de rétablir un minimum de confiance mutuelle .

Le rôle croissant du Qatar en Afrique ne sort pas de nulle part. Ces dernières années, l’émirat s’est érigé en interlocuteur de choix dans plusieurs conflits internationaux. Doha a déjà accueilli des pourparlers de paix décisifs, que ce soit entre les États-Unis et les talibans afghans, entre le gouvernement tchadien et ses rébellions, ou encore dans le cadre de la récente guerre Israël-Hamas . Sur le continent africain, le Qatar a multiplié les initiatives de diplomatie proactive : il a tenté de s’entremettre au Soudan, en Somalie, dans le différend frontalier entre Djibouti et l’Érythrée, tout en finançant des efforts humanitaires en zones de crise . Cette activisme s’inscrit dans une stratégie de soft power face à la rivalité d’autres puissances du Golfe (les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, notamment, cherchent eux aussi à accroître leur influence en Afrique). Le ministère des Affaires étrangères qatari met d’ailleurs en avant la volonté de Doha de renforcer « les partenariats stratégiques avec les nations africaines à tous les niveaux », en misant sur « la diplomatie préventive, la médiation dans la résolution des conflits et la consolidation de la paix en Afrique » . En prenant les devants dans la crise entre la RDC et le Rwanda, le Qatar confirme son ambition de s’imposer comme un acteur diplomatique incontournable sur la scène internationale.

Des intérêts économiques stratégiques

Au-delà de l’affichage politique, l’engagement du Qatar dans la région des Grands Lacs est aussi motivé par des intérêts économiques bien compris. L’émirat a noué ces dernières années des partenariats d’investissement avec Kinshasa et Kigali, signe qu’il ne découvre pas complètement le terrain. Au Rwanda, Doha est devenu un investisseur de premier plan : via sa compagnie nationale Qatar Airways, le Qatar détient 60 % du futur nouvel aéroport international de Bugesera, près de Kigali, un projet à 1,3 milliard de dollars . Parallèlement, un accord est en voie d’aboutir pour que Qatar Airways acquière 49 % de la compagnie nationale RwandAir . Ce méga-investissement, le plus important du Qatar en Afrique, vise à faire de Kigali un hub aérien continental en lien avec Doha, et témoigne de la relation privilégiée tissée entre l’émirat et le Rwanda.

En République démocratique du Congo, le Qatar commence également à avancer ses pions. En 2021, Kinshasa et Doha ont signé une série d’accords-cadres couvrant plusieurs secteurs stratégiques . Le Qatar s’est notamment engagé à financer la modernisation des principales infrastructures de transport congolaises : rénovation des aéroports de Kinshasa (Ndjili et N’Dolo) et de Lubumbashi, et modernisation des ports fluviaux de Matadi, Kinshasa et Boma sur le fleuve Congo . Ces chantiers, une fois concrétisés, permettraient d’améliorer considérablement les liaisons commerciales de la RDC un atout économique dont le Qatar pourrait tirer parti. Par ailleurs, les immenses réserves minières congolaises suscitent l’intérêt de Doha, à l’instar d’autres pays du Golfe. Le secteur de l’or artisanal, par exemple, a récemment fait l’objet de partenariats avec des investisseurs du Moyen-Orient, signe que les richesses de l’est de la RDC attirent des capitaux étrangers en quête de métaux précieux . Certes, les projets qatari en RDC n’en sont qu’à leurs débuts et demeurent modestes comparés à ceux au Rwanda . Mais en se posant en investisseur et intermédiaire de confiance, le Qatar gagne en influence auprès des deux pays, ce qui renforce sa capacité à peser dans le processus de paix.

Un cessez-le-feu aux contours flous

Malgré la résonance médiatique de la rencontre de Doha, la réalité sur le terrain reste préoccupante. L’annonce du cessez-le-feu a été accueillie avec circonspection par les principaux intéressés, les rebelles du M23. Le lendemain du sommet, le chef de l’alliance rebelle a sèchement déclaré qu’il ne se sentait « pas concerné » par l’appel à la trêve lancé à Doha tant qu’aucune solution n’aurait été apportée aux griefs du mouvement . Pour ces insurgés, qui ont d’ailleurs claqué la porte des pourparlers prévus en Angola la veille de la médiation qatarie , l’offensive continue. Et de fait, les combats ne se sont pas arrêtés : le M23 a poursuivi son avancée dans le Nord-Kivu, s’emparant de nouvelles localités malgré les déclarations de cessez-le-feu . Aucun observateur international n’est présent pour superviser une éventuelle cessation des hostilités, et les forces de maintien de la paix déjà sur place (comme la force régionale de l’EAC ou les Casques bleus de la MONUSCO) n’ont pas reçu de mandat clair pour faire respecter la trêve. Dans ces conditions, l’accord de Doha apparaît avant tout comme une intention politique plus que comme un véritable plan de paix opérationnel.

Les déclarations prudentes qui ont suivi la rencontre traduisent d’ailleurs cette fragilité du compromis. Kinshasa a salué la « bonne volonté » de son voisin tout en rappelant que la méfiance reste de mise après des mois de crise. Du côté de Kigali, on continue officiellement de nier toute implication directe dans le conflit, évitant de commenter les détails d’une trêve dont la mise en œuvre demeure hypothétique. L’Union africaine a beau se féliciter prudemment de l’initiative de Doha, la situation sur le terrain n’a pour l’instant guère évolué : plus d’7 millions de civils restent déplacés par les violences dans l’est de la RDC , et les affrontements entre le M23 et l’armée congolaise se poursuivent sporadiquement. Sans l’adhésion des belligérants sur le terrain, ce cessez-le-feu risque de rester lettre morte – un constat amer qui relativise le succès diplomatique qatari.

Une paix encore lointaine

En quelques jours, le Qatar a réussi un tour de force diplomatique en rapprochant Kinshasa et Kigali, glanant au passage du prestige comme nouveau faiseur de paix en Afrique. Cette médiation éclair a mis en évidence le poids que Doha peut acquérir dans les crises africaines en combinant influence politique et leviers économiques. Elle a offert un rare instant de dialogue direct entre deux présidents que tout oppose sur le dossier du M23. Pourtant, l’avenir de cette initiative reste incertain. L’absence des acteurs armés autour de la table de négociation et le manque de garanties concrètes minent la portée du cessez-le-feu annoncé. Sur le terrain, la défiance demeure, alimentée par des années de conflits et d’ingérences régionales.

La question est désormais de savoir si l’élan diplomatique impulsé à Doha peut se prolonger et aboutir à des mesures tangibles de désescalade. Le Qatar, fort de ce premier succès symbolique, cherchera sans doute à pérenniser son rôle de médiateur en accompagnant les discussions dans la durée. Mais il devra composer avec de nombreux impondérables : la volonté réelle du Rwanda et de la RDC de faire des concessions, la pression internationale qui pourrait à nouveau s’accentuer, ou encore la capacité du M23 à nuire tant qu’il ne sera pas intégré à une solution politique.

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