Accusé d’avoir détourné près de 20 millions de dollars liés à la construction d’une prison à Kisangani, l’ex-ministre congolais de la Justice Constant Mutamba a été condamné le 2 septembre à trois ans de travaux forcés, assortis de cinq ans d’inéligibilité et d’interdiction de vote, avec restitution des fonds.
Ce qui est reproché
- Le projet : construction d’une prison centrale à Kisangani (enveloppe ~40 M$).
- Le point d’achoppement : un gré à gré attribué à Zion Construction SARL et un virement d’environ 19,9 M$ depuis un fonds d’indemnisation des victimes de guerre (FRIVAO).
- Les griefs du parquet :
- violations des règles de passation des marchés (absence d’avis de non-objection, procédures non respectées) ;
- autorisation de la Primature jugée défaillante ;
- Zion décrite comme “entreprise de façade” (pas d’adresse, pas d’expertise prouvée, compte bancaire ouvert la veille du transfert) ;
- intention déduite de la précipitation et de la chaîne décisionnelle contournée.
- violations des règles de passation des marchés (absence d’avis de non-objection, procédures non respectées) ;
La défense de Constant Mutamba
- Pas d’appropriation : la somme a été immédiatement saisie par la CENAREF ; « on ne détourne pas ce qu’on n’a pas touché ».
- Traçabilité politique : projet soumis au Conseil des ministres ; “autorisation tacite” alléguée de la Primature (absence de réponse dans les délais) ; enjeu sécuritaire justifiant le gré à gré.
- Lecture politique : procès politique et cabale ; antagonismes avec la Première ministre Judith Suminwa et le procureur général Firmin Mvonde ; attaques contre des “intérêts établis” au sein de la justice.
Frise chronologique
- 29 mai – L’Assemblée autorise une information judiciaire visant Mutamba (prison de Kisangani, virement ~20 M$).
- 9–10 juin – Le procureur sollicite les poursuites ; Mutamba récuse le procureur général.
- 15 juin – L’Assemblée autorise les poursuites (322/363).
- 16–18 juin – Interdiction de sortie de Kinshasa ; démission de Mutamba.
- 9 juillet – Ouverture du procès à la Cour de cassation ; report accordé.
- 23 juillet – Rejet des vices de forme ; Mutamba plaide non coupable.
- 6 août – Récusation de deux magistrats, remplacés ; témoins à charge et à décharge.
- 13 août – Réquisitions : jusqu’à 10 ans de travaux forcés ; derniers mots très politiques.
- 27 août : 1er septembre – Reports du verdict.
- 2 septembre – Verdict : 3 ans de travaux forcés, 5 ans d’inéligibilité, restitution ~20 M$.
Les acteurs-clés
- Constant Mutamba – Ex-ministre de la Justice, au centre du dossier ; stratégie de défense politico-juridique.
- Judith Suminwa – Première ministre ; rôle discuté sur l’avis/autorisation du gré à gré.
- Firmin Mvonde – Procureur général près la Cour de cassation ; cible des récusations.
- Zion Construction SARL – Bénéficiaire du marché ; qualifications et garanties contestées.
- CENAREF – A saisi les 19,9 M$ après le virement.
- FRIVAO – Source des fonds (quote-part gouvernementale de l’enveloppe destinée aux victimes de guerre).
Les points juridiques centraux
- Détournement sans “enrichissement personnel” :
- La Cour retient qu’un détournement peut être caractérisé par le transfert irrégulier de deniers publics vers un compte privé, même si l’argent est ensuite saisi et sans preuve d’appropriation personnelle.
- La Cour retient qu’un détournement peut être caractérisé par le transfert irrégulier de deniers publics vers un compte privé, même si l’argent est ensuite saisi et sans preuve d’appropriation personnelle.
- Procédures des marchés publics :
- Le gré à gré reste exceptionnel et strictement encadré ; l’urgence sécuritaire n’exonère pas des autorités requises (avis de non-objection, validations formelles).
- Le gré à gré reste exceptionnel et strictement encadré ; l’urgence sécuritaire n’exonère pas des autorités requises (avis de non-objection, validations formelles).
- Traçabilité des fonds sensibles :
- L’usage de crédits issus d’un fonds d’indemnisation impose séquestres, jalons et contrôles renforcés ; l’origine et la destination des fonds comptent autant que la finalité.
- L’usage de crédits issus d’un fonds d’indemnisation impose séquestres, jalons et contrôles renforcés ; l’origine et la destination des fonds comptent autant que la finalité.
Le verdict et sa logique
- Peine : 3 ans (en-deçà des réquisitions), 5 ans d’inéligibilité/interdiction de vote, remboursement des ~20 M$.
- Lecture : la Cour a privilégié la gravité procédurale (chaîne des contrôles, précipitation, choix du prestataire) et la protection des deniers affectés, plus que la démonstration d’un profit personnel.
Questions ouvertes (au vu des éléments disponibles)
- Recours : possibilités et délais, s’agissant d’un jugement de la Cour de cassation sur un justiciable “ministre” ; périmètre et modalités.
- Avenir du chantier : relocalisation, nouvelle procédure (appel d’offres ?), financement et calendrier.
- Responsabilités administratives : audits et éventuelles sanctions dans la chaîne Marchés publics/Primature/Infrastructures/Justice.
- Trajectoire publique de Mutamba : effets politiques de l’inéligibilité ; recomposition de son soutien.
Ce que révèle l’affaire
- La commande publique reste un point de fragilité lorsque l’urgence sécuritaire sert de levier au gré à gré.
- La gouvernance des fonds dédiés (indemnisations de guerre) exige une traçabilité exemplaire.
- Les contre-pouvoirs (Assemblée, parquet, CENAREF, Cour) ont joué leur partition ; la bataille narrative s’est, elle, déportée sur le terrain politique.
À retenir
- Oui, la saisie des fonds a pesé, mais elle n’a pas suffi à effacer le défaut massif de procédure : c’est l’architecture du transfert qui a emporté la conviction des juges.
- L’affaire fixe un signal : sur les fonds sensibles et les gré à gré, la forme (légalité) est aussi déterminante que le fond (finalité publique).
La suite se jouera sur d’éventuels recours, la reconfiguration du projet pénitentiaire et les conséquences politiques de l’inéligibilité.
Paul Lamier Grandes Lignes