L’ancien président congolais Joseph Kabila est de retour sur le sol national, après plusieurs années d’absence et à la faveur d’un contexte politique et militaire particulièrement instable. Ce retour intervient dans un climat tendu : accusé par le Sénat de « trahison » pour son prétendu soutien à la milice M23, Kabila a choisi de s’installer à Goma, dans l’est du pays une ville hors de portée des autorités de Kinshasa.
Un retour remarqué, à 1 600 kilomètres du pouvoir
Joseph Kabila, qui a dirigé la République démocratique du Congo pendant 18 ans, a regagné le pays le 25 mai, selon son porte-parole Barnabé Kikayi Bin Karubi. L’ancien chef de l’État n’a pas atterri à Kinshasa, capitale politique et siège du pouvoir exécutif, mais à Goma ville contrôlée depuis janvier par la milice M23, soutenue par le Rwanda.
Le choix de cette ville n’est pas neutre : c’est précisément le groupe M23 que Kabila est accusé d’avoir soutenu, et dont les actions militaires ont conduit à la perte de territoires pour l’État congolais. En s’installant à Goma, l’ancien président se place de fait en zone grise, hors de portée des procureurs qui souhaitent l’entendre à Kinshasa.
Un Sénat accusateur, une justice entravée
La semaine précédant son retour, le Sénat congolais avait adopté une résolution demandant la poursuite judiciaire de Joseph Kabila pour haute trahison. Le cœur de l’accusation repose sur son supposé appui à la milice M23, dont l’offensive depuis le début de l’année a bouleversé la carte sécuritaire de l’est congolais.
Mais cette initiative parlementaire semble pour l’instant sans effet : dans les faits, Kinshasa ne contrôle plus Goma, devenue l’un des bastions du M23. La présence de Kabila dans cette ville contrôlée par une force qu’il est accusé d’avoir soutenue rend toute action judiciaire difficile, voire symbolique.
Des enjeux régionaux complexes
Ce retour de Kabila survient alors que des négociations diplomatiques sensibles sont en cours. Washington tente d’obtenir un accord de paix entre Kinshasa et Kigali, en parallèle de discussions commerciales sur les minerais stratégiques entre les deux pays.
L’influence persistante de Kabila encore palpable dans certains cercles politiques et militaires pourrait brouiller ces discussions. La dirigeante politique de M23, Corneille Nangaa, a publiquement salué l’arrivée de l’ancien président. Nangaa, ancien président de la Commission électorale congolaise, a lui-même une trajectoire ambiguë, passant du statut d’arbitre électoral à celui d’acteur militaire et politique frontalement opposé au président Félix Tshisekedi.
Une rivalité politique toujours active
Kabila n’a jamais officiellement quitté la politique congolaise. Resté discret ces dernières années, il a réactivé sa présence en 2024 et s’est récemment exprimé publiquement. Dans une vidéo diffusée sur ses réseaux sociaux, il a accusé le président Tshisekedi de dérive autoritaire, le qualifiant de dictateur.
Le retour sur le devant de la scène de celui qui avait été évincé des rouages du pouvoir après la rupture de l’accord de coalition en 2019 ajoute une couche de complexité à une situation déjà instable.
Une séquence qui interroge sur l’état de droit
Le fait qu’un ancien président poursuivi pour trahison puisse réapparaître publiquement dans une zone tenue par une milice rebelle, y soit accueilli sans entrave par ses dirigeants, et affiche une position politique assumée contre le pouvoir en place, soulève une question fondamentale : celle de l’autorité réelle de l’État congolais.
La justice, reléguée à Kinshasa, se trouve impuissante à agir. Les institutions politiques sont fragmentées, les milices gagnent du terrain, et la scène politique semble incapable de faire face à cette résurgence de figures controversées.
Un rôle d’arbitre ou de perturbateur ?
Signe d’un contexte toujours plus complexe, les représentants des confessions religieuses du Nord-Kivu ont rencontré Joseph Kabila à Kinyogote, à l’ouest de Goma. À l’issue de la rencontre, ils ont lancé un appel à l’ancien président pour « mettre sa sagesse au service de la paix ».
« Il a tout ce qu’il faut en termes de sagesse pour contribuer au retour de la paix de manière définitive car il a réussi à unifier le pays par le passé », a déclaré l’évêque Joël Amurani, leur porte-parole.
Kabila lui-même a exprimé son « souhait profond de voir la paix et la cohésion revenir ». Les responsables religieux l’ont alors appelé à jouer un rôle d’arbitre national pour une sortie de crise dans l’Est.
Mais son choix d’atterrir à Goma ville tenue par cette même milice et les appuis qu’il y retrouve, laissent planer le doute sur ses véritables intentions.
Sa présence dans cette zone échappant au contrôle de l’État symbolise autant la fragmentation du territoire congolais que l’impasse actuelle du pouvoir à imposer son autorité.
Paul Lamier Grandes Lignes