À Washington, le Rwanda et la République démocratique du Congo ont signé un traité de paix parrainé par les États-Unis. Derrière la poignée de main diplomatique, les zones d’ombre persistent, notamment sur le rôle du M23, les intérêts miniers et l’absence de justice.
Un traité sous haute tension
Vendredi, dans le bâtiment Harry S. Truman, siège du Département d’État américain, les chefs de la diplomatie rwandaise et congolaise ont apposé leurs signatures sur un traité de paix censé mettre fin à l’un des conflits les plus meurtriers du continent africain. Cette guerre dans l’est du Congo, relancée en 2021 par l’offensive du groupe armé M23, a fait des milliers de morts et déplacé des centaines de milliers de civils.
La signature de cet accord a été saluée par des applaudissements. Marco Rubio, sous-secrétaire d’État américain, a dirigé les négociations. « Je sais combien de travail a été nécessaire », a-t-il déclaré. Le président rwandais était représenté par Olivier Nduhungirehe, ministre des Affaires étrangères, tandis que la RDC était représentée par Thérèse Kayikwamba Wagner, sa nouvelle cheffe de la diplomatie.
Une paix fragile, un passif douloureux
« Le Rwanda est prêt à travailler avec la RDC », a affirmé Olivier Nduhungirehe. De son côté, Thérèse Wagner a parlé d’un « nouveau chapitre », tout en reconnaissant que « la chair se souviendra encore », en référence aux blessures profondes et non cicatrisées du conflit.
L’accord, élaboré en deux mois, a également bénéficié d’une médiation du Qatar. L’ancien président Donald Trump, qui a salué le rôle de son administration, a mentionné l’implication de Massad Boulos, conseiller du Département d’État et membre de sa belle-famille. Fidèle à son style, Trump a résumé le conflit en des termes approximatifs : « Ils se sont battus pendant des années avec des machettes. C’est l’une des pires guerres qu’on ait jamais vues. »
Il a aussi évoqué, sans détour, l’intérêt stratégique des États-Unis : l’accès aux minéraux critiques de la RDC, dont le cobalt, ressource clé dans la transition énergétique mondiale, largement exploitée par les entreprises chinoises.
Un accord sans les principaux belligérants ?
Mais sur le terrain, la guerre continue. Les armes n’ont pas encore été déposées. Et surtout, le principal protagoniste armé de la crise, le M23, n’a pas participé à la table des négociations.
Le mouvement rebelle, soutenu selon Kinshasa par Kigali, contrôle d’importants territoires dans le Nord-Kivu et y impose ses propres administrations. Une version préliminaire de l’accord supposait qu’un traité distinct négocié à Doha entre le gouvernement congolais et le M23 aurait déjà abouti. Ce n’est pas le cas.
« L’accord avec les États-Unis contourne complètement la question du M23 », déplore Liam Karr, expert de l’American Enterprise Institute. Selon lui, ignorer la place du M23, sa reconnaissance légale ou son éventuelle intégration est un « risque majeur » pour toute solution durable.
L’Ouganda et le Burundi, dont les troupes sont également présentes dans l’est du Congo, sont absents du texte final. Pourtant, ils restent des acteurs militaires de premier plan dans la région.
Un partage des ressources sans justice ?
Autre point de discorde : la promesse d’un accès américain aux minerais stratégiques de la RDC, en échange d’un accord avec une puissance accusée d’agression. Pour plusieurs observateurs congolais, cette logique revient à légitimer les exactions passées sans obtenir de réparations ni de garanties solides pour l’avenir.
Le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018 et voix incontournable des victimes de violences sexuelles dans l’est du Congo, a sévèrement critiqué l’accord. « C’est triste. Je crois vraiment que les États-Unis peuvent faire mieux. Ils peuvent aider à construire une paix juste, pas une paix de façade », a-t-il déclaré.
Une paix à construire
La signature du traité constitue une avancée diplomatique incontestable. Mais son efficacité réelle reste à démontrer. Ni le désarmement du M23, ni la démilitarisation de l’est du Congo, ni la restitution des territoires occupés ne sont garantis. Et les populations civiles, principales victimes du conflit, continuent de subir l’insécurité, le déplacement et la faim.
La question centrale demeure donc : peut-on construire une paix durable sans justice, sans inclusion des acteurs armés, et sans s’attaquer aux causes profondes du conflit ?
Paul Lamier Grandes Lignes