En Alaska, Donald Trump et Vladimir Poutine s’apprêtent à discuter d’un « échange de territoires » qui pourrait redessiner la carte de l’Europe de l’Est au risque de marginaliser Kiev et d’affaiblir ses garanties de sécurité.
Une absence qui inquiète Kiev
Près de trois ans après le début de l’invasion russe, le mot d’ordre de Washington « rien sur l’Ukraine sans l’Ukraine » semble vaciller. Vendredi, le président américain Donald Trump doit rencontrer Vladimir Poutine en Alaska, sans que le président ukrainien Volodymyr Zelensky ne soit convié, malgré quelques rumeurs de dernière minute.
Cette exclusion nourrit la crainte, côté ukrainien, d’un accord bilatéral négocié au-dessus de sa tête, sans garanties de sécurité solides ni maintien de l’aide militaire.
Zelensky ferme la porte à tout compromis territorial
Le chef de l’État ukrainien a rejeté catégoriquement l’idée avancée par Donald Trump d’un « échange de territoires » avec la Russie.
« Les Ukrainiens ne donneront pas leurs terres à l’occupant », a-t-il martelé, rappelant que la Constitution interdit toute cession. Et de prévenir : « Toutes les solutions contre nous, toutes celles sans l’Ukraine, sont aussi des solutions contre la paix. Elles ne mèneront à rien. »
Pour Kiev, l’ombre de Yalta où en 1945 Roosevelt, Staline et Churchill s’étaient partagé l’Europe plane sur ce sommet. La comparaison est d’autant plus symbolique que l’Alaska, lieu choisi pour la rencontre, appartenait autrefois à l’Empire russe.
Un Trump imprévisible, un Poutine prêt à saisir l’occasion
Depuis sa rencontre houleuse avec Donald Trump en février, où ce dernier lui avait lancé : « vous n’avez pas les cartes en ce moment », Zelensky doute de la fiabilité de son interlocuteur américain.
Plusieurs analystes redoutent que le président américain ne sous-estime la capacité de Poutine à le flatter et à obtenir des concessions substantielles notamment sur les territoires que Moscou revendique depuis 2022 (Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson), ainsi que la Crimée.
Selon Tressa Guenov, experte au Scowcroft Center, « Trump continue d’aborder ces discussions comme si Poutine négociait en partenaire ou ami », ce qui complique toute perspective d’accord équilibré.
L’Europe rappelle ses lignes rouges
En parallèle, les alliés européens France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie ont réaffirmé que toute paix devait inclure « des garanties de sécurité solides et crédibles » pour l’Ukraine, afin qu’elle puisse défendre sa souveraineté.
Un message adressé indirectement à Donald Trump, qui s’est gardé d’évoquer ces aspects, préférant insister sur sa relation personnelle avec Poutine comme clé d’une paix rapide.
Un contexte stratégique complexe
Pour Moscou, le simple fait d’obtenir un tête-à-tête avec le président américain constitue déjà une victoire diplomatique. Cette rencontre intervient alors que Poutine reste sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre, et que son économie est fragilisée par les sanctions.
Pourtant, Trump a mis en pause certains efforts américains visant à documenter ces crimes, levant ainsi un obstacle symbolique à la venue du dirigeant russe sur le sol américain.
Jeffrey Sonnenfeld, spécialiste de la gouvernance d’entreprise à Yale, souligne que « l’illusion du pouvoir de Poutine est aussi réelle que le Magicien d’Oz » et que la Russie « détient peu de cartes ». Mais il avertit : céder le Donbass, riche en minéraux stratégiques, serait un désastre pour Kiev d’autant plus que l’administration Trump a déjà négocié un accord prévoyant le partage des revenus miniers ukrainiens via un fonds conjoint.
Un risque géopolitique majeur
Les négociations en Alaska se jouent sur plusieurs tableaux :
- Pour l’Ukraine, il s’agit d’éviter une paix imposée qui graverait dans le marbre les gains territoriaux russes.
- Pour Trump, tout accord perçu comme une capitulation face à Moscou pourrait fragiliser sa position sur la scène intérieure.
- Pour Poutine, c’est l’opportunité de légitimer ses annexions et d’affaiblir durablement le camp occidental.
Si Donald Trump persiste dans l’idée d’un troc territorial, il prendra le risque d’ouvrir une nouvelle ère de diplomatie à huis clos, où les petites nations redeviennent les variables d’ajustement des ambitions des grandes puissances.
Paul Lamier Grandes Lignes