En déclarant qu’il pourrait « couvrir Pékin de bombes » en cas d’attaque contre Taïwan, Donald Trump souffle le chaud et le froid sur la stratégie de dissuasion américaine en Asie. Pékin, de son côté, ajuste subtilement sa doctrine : l’encerclement progressif de Taïpei plutôt qu’un assaut frontal.
Une menace directe, mais privée
C’est dans une réunion à huis clos que Donald Trump aurait formulé l’une de ses menaces les plus directes envers la Chine : « S’il [Xi Jinping] allait à Taïwan, je couvrirais Pékin de bombes. » Un avertissement nucléaire prononcé sur un ton bravache, confirmé par des extraits sonores obtenus par CNN. Ce n’est pas la première fois que Trump pratique la diplomatie de l’intimidation privée, tout en maintenant une posture publique d’ambiguïté stratégique une méthode qui déstabilise, mais laisse surtout la Chine dans une zone grise.
Ambiguïté calculée ou contradiction politique ?
Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a multiplié les signaux contradictoires : d’un côté, des sanctions commerciales contre Taïwan (25 % de droits de douane sur les semi-conducteurs), de l’autre, la promesse de ventes d’armes massives à l’île. Il entretient une relation amicale avec Xi Jinping, tout en le menaçant d’une riposte dévastatrice. Ce flou n’est pas nouveau : il perpétue la fameuse « ambiguïté stratégique » américaine, un flou volontaire qui, jusqu’ici, a permis de maintenir l’équilibre.
Mais à l’heure où le rapport de force s’intensifie, cette stratégie devient de plus en plus risquée. Contrairement à Joe Biden, qui avait clairement affirmé que les États-Unis défendraient militairement Taïwan, Trump reste insaisissable. Résultat : l’incertitude grandit à Taïpei, mais aussi à Pékin.
La Chine resserre l’étau
Plutôt que de se précipiter vers une confrontation militaire, la Chine mise sur une tactique d’encerclement. L’objectif : isoler l’île diplomatiquement, psychologiquement et militairement. Multiplication des manœuvres navales, campagnes de désinformation, pressions économiques : Pékin agit par étouffement progressif, dans une logique de long terme. L’APL (Armée populaire de libération) est d’ailleurs en ordre de marche pour 2027, date hautement symbolique marquant le centenaire de sa création.
Les îles périphériques comme Matsu ou Pescadores pourraient devenir des cibles symboliques à plus court terme. Pas une invasion massive, mais un « coup tactique », qui testerait les réactions américaines sans franchir le seuil de la guerre totale.
Une rivalité asymétrique
Pour la Chine, le second mandat de Trump offre un levier : affaiblir les alliances régionales des États-Unis. Trump ne cache pas son agacement envers Tokyo ou Séoul, et ses critiques envers Taïwan nourrissent l’idée, utile à la propagande chinoise, que l’île est seule face à la puissance continentale. L’influence américaine dans la région reste forte, mais l’imprévisibilité de Trump fragilise sa crédibilité stratégique.
À cela s’ajoute le facteur iranien. Les récentes frappes américaines contre Téhéran rappellent à Pékin que Trump est capable d’action militaire soudaine. Une donne qui renforce le choix de la prudence, du moins pour l’instant.
Une guerre psychologique assumée
Les déclarations chinoises sur les exercices militaires taïwanais relèvent du mépris calculé. Pékin n’ignore pas la montée en puissance de l’armée de Taïwan, ni le soutien matériel américain. Mais dans le discours officiel, tout cela est balayé d’un revers de main. La guerre psychologique est totale : il s’agit de décourager, démoraliser, faire douter. L’invasion de l’Ukraine par la Russie et ses complications sert d’exemple des limites du recours brutal à la force. Pékin veut éviter ce piège.
2027 en ligne de mire
Xi Jinping continue néanmoins de répéter que la « réunification » reste un objectif non négociable. Il a appelé ses généraux à être prêts pour 2027, date à laquelle il compte asseoir définitivement son pouvoir. Une invasion de grande ampleur est peu probable à court terme, mais une opération ciblée n’est pas à exclure.
Entre ambiguïté stratégique américaine et ambitions contenues chinoises, Taïwan demeure au cœur d’un jeu d’équilibre mondial instable. Plus qu’un simple point de tension géopolitique, l’île est devenue le baromètre d’un nouvel ordre mondial en recomposition.
Paul Lamier Grandes Lignes












