À l’approche d’une élection présidentielle décisive, l’opposition ivoirienne se recompose autour d’une alliance aussi stratégique qu’inattendue. Trois figures que tout semblait opposer Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam et Guillaume Soro unissent désormais leurs forces au sein du mouvement « Trop, c’est trop », porté par l’ex-président. Ensemble, ils entendent contester la domination du pouvoir en place et dénoncent leur exclusion de la liste électorale, qu’ils jugent injustifiée.
Cette alliance improbable est née dans le sillage du lancement, le 10 juin, par Gbagbo, d’un mouvement censé fédérer les voix critiques face à la présidence d’Alassane Ouattara. Rejoint d’abord par Tidjane Thiam le 19 juin, puis par Guillaume Soro le 25, ce front commun surprend autant par ses figures que par son ambition : remettre en cause la légitimité d’un scrutin à venir sans eux.
Unis par une même inéligibilité
Ce que partagent les trois hommes aujourd’hui, au-delà de leur exclusion de la course électorale, c’est une volonté commune d’obtenir la révision de la liste électorale. Tous déclarés inéligibles, ils réclament une réforme qui permettrait leur réintégration dans le jeu démocratique.
Leur adversaire est clairement identifié : Alassane Ouattara, probable candidat à un quatrième mandat, contre lequel les trois figures s’érigent comme des voix alternatives d’un pays en quête de renouvellement.
Des ambitions croisées
L’alliance surprend. Entre Soro, ancien Premier ministre en rupture avec le pouvoir depuis son exil, Gbagbo, revenu de La Haye avec la volonté de reprendre la main sur la politique nationale, et Thiam, longtemps considéré comme une option consensuelle de l’opposition modérée, les différences de parcours, de style et même de vision sont profondes.
Mais en politique, l’adage est bien connu : « Il n’y a ni amis ni ennemis, seulement des intérêts ». Le rapprochement a été mûrement négocié. Des discussions avaient lieu depuis plusieurs semaines entre GPS, le mouvement de Soro, et le PPA-CI de Gbagbo. L’arrivée de Thiam, président du PDCI, a apporté une crédibilité supplémentaire à ce bloc contestataire, que peu voyaient se former aussi rapidement.
Un nouvel équilibre au sein de l’opposition
Cette recomposition a des conséquences immédiates. La Coalition pour l’alternance pacifique en Côte d’Ivoire (CAP-CI), qui réunit une vingtaine de partis d’opposition à l’exception notable du PPA-CI, se retrouve marginalisée. Les tensions personnelles, notamment entre Gbagbo et son ex-épouse Simone Ehivet Gbagbo, aujourd’hui porte-parole de la CAP-CI, n’ont pas favorisé l’unité de façade.
Dès lors, le paysage de l’opposition s’organise autour de deux pôles. D’un côté, une alliance dite modérée, tournée vers la légalité du processus électoral tel qu’il est. De l’autre, un front radical, mené par trois figures majeures, qui contestent la base même de la présidentielle à venir.
Une candidature par procuration ?
Si aucun des trois leaders de « Trop, c’est trop » n’est pour l’instant en position de se présenter, la dynamique pourrait bien aboutir à une stratégie de candidature par procuration. Certains analystes évoquent déjà la possibilité d’un ralliement commun derrière un quatrième homme, éligible et capable de porter la voix de cette alliance hors normes.
Paul Lamier Grandes Lignes