La guerre éclair entre Israël et l’Iran a replacé l’ayatollah Ali Khamenei au cœur d’un terrain familier : celui d’une confrontation idéologique avec l’Occident. Le chef suprême iranien, à la tête du régime depuis plus de trois décennies, semble une fois de plus tirer profit du chaos pour affermir son pouvoir.
Il y a encore quelques jours, certains observateurs espéraient un tournant diplomatique entre Téhéran et Washington. Des discussions discrètes étaient en cours, avec en toile de fond une possible levée des sanctions américaines en échange d’un gel du programme nucléaire iranien. Les plus audacieux envisageaient même une normalisation historique entre les deux ennemis de toujours. Cette hypothèse s’est rapidement effondrée.
Depuis l’offensive israélienne du 13 juin contre des installations iraniennes, le discours de Khamenei s’est radicalisé. Le guide suprême a repris ses attaques contre « l’entité sioniste » et ses alliés occidentaux. Donald Trump, de son côté, n’a pas exclu une action ciblée contre lui. « Ce n’est pas pour maintenant, mais notre patience a des limites », a-t-il prévenu.
Un parcours discret, une ascension méthodique
Né en 1939 à Mashhad, dans une famille modeste, Ali Khamenei est un pur produit de l’élite religieuse chiite iranienne. Formé à Qom, haut lieu de l’enseignement clérical, il combine lectures pieuses et littérature contestataire. En marge du Coran, il s’intéresse à Hugo, Steinbeck et à la pensée islamiste de Sayyid Qutb, qu’il traduira en persan.
Son ascension politique commence après la révolution islamique de 1979. Il devient brièvement vice-ministre de la Défense, puis commissaire politique des Gardiens de la révolution (IRGC). En 1981, il accède à la présidence de la République, un poste à l’époque largement symbolique, qu’il occupera jusqu’en 1989. Peu charismatique mais loyal, il est adoubé par l’ayatollah Khomeiny.
À la mort de ce dernier, c’est pourtant lui que le régime propulse à la tête du pays. Il n’a alors ni le poids religieux ni l’autorité théologique pour prétendre au poste de Guide suprême. Qu’à cela ne tienne : il étendra progressivement son emprise, renforçant ses titres, ses réseaux et son contrôle.
Un système verrouillé autour de sa personne
Khamenei a bâti un système autoritaire ultra-centralisé. Il oppose les institutions les unes aux autres présidence, Parlement, armée, IRGC tout en gardant le dernier mot. Le Conseil des gardiens, sous sa coupe, invalide systématiquement les candidatures non alignées. Les clercs rivaux sont cooptés ou neutralisés. Son bureau, le beyt-e rahbari, s’est transformé en une gigantesque administration parallèle, omniprésente dans les ministères, les provinces et jusqu’aux foires du livre.
Sous son autorité, le pouvoir religieux s’est aussi mué en empire économique. Il contrôle des fondations religieuses (bonyads) reconverties en conglomérats, qui captent les marchés publics, échappent à l’impôt et profitent des sanctions pour évincer la concurrence étrangère. Le patriarche austère est à la tête d’un système qui brasse des milliards.
Un pouvoir contesté, mais toujours intact
Pourtant, ce règne sans partage s’accompagne d’un rejet croissant dans la société. Les Iraniens, surtout les jeunes, aspirent à une ouverture vers le monde, dénoncent les restrictions sociales, les inégalités et la répression. Les manifestations de ces dernières années ont souvent ciblé Khamenei directement, certains allant jusqu’à réclamer sa mort.
Mais le guide suprême tient bon. Sa réponse à la contestation est toujours la même : répression brutale, arrestations massives, et procès expéditifs. Une tentative d’assassinat en 1981, qui l’a laissé avec un bras paralysé, n’a fait que renforcer sa détermination à ne rien céder. Son mot d’ordre : ne jamais reproduire les erreurs du Shah.
Le spectre de la succession
À 86 ans, le dirigeant iranien prépare pourtant sa sortie, sans le dire. Son fils Mojtaba, discret mais influent, est pressenti comme héritier de l’appareil. La rumeur d’un pouvoir de plus en plus transféré à l’IRGC circule à Téhéran, certains évoquant même un conseil militaire parallèle agissant pendant que Khamenei serait isolé dans un bunker.
Mais l’histoire récente invite à la prudence : nombreux sont ceux qui ont sous-estimé Ali Khamenei. Malgré les crises, les guerres, les sanctions et les soulèvements, il demeure, imperturbable, l’homme fort d’un régime qu’il a façonné à son image.
Paul Lamier Grandes Lignes