Lecture 09 min. Publié le 07 octobre 2025 à 16h09
Grandes Lignes décrypte les failles d’un système qui ne tient plus que par habitude et d’un président qui, à force de vouloir incarner la stabilité, semble désormais prisonnier de son propre modèle.
Huit ans après son premier triomphe électoral, Emmanuel Macron est seul.
Seul au sommet d’un pouvoir qui s’effrite.
Les gouvernements tombent, les alliances se brisent, la dette s’alourdit, et le président, jadis symbole d’audace et de renouveau, paraît prisonnier du système qu’il incarnait.
Seul dans une République qu’il a voulu transformer, mais qu’il semble désormais incapable de contenir.
Entre crise politique, impasse institutionnelle et dérive économique, c’est tout un modèle de gouvernance qui s’essouffle sous nos yeux.
Un Macron, deux quinquennats, cinq Premiers ministres…
La fin d’un cycle
Ce qui devait être un nouveau départ s’est transformé en crépuscule du macronisme.
Sébastien Lecornu, dernier Premier ministre en date, n’aura tenu que vingt-huit jours.
Sa “rupture” promise s’est dissoute dans la continuité d’un pouvoir usé.
Trois gouvernements en moins d’une année : la valse ministérielle illustre à elle seule l’essoufflement d’un système qui tourne à vide.
Centralisé, verrouillé, incapable de se réinventer, le macronisme n’est plus une dynamique, mais une mécanique.
« Nous dansons sur les ruines de nos institutions », confiait récemment Alain Duhamel.
Et d’ajouter, amer : « Si M. Macron démissionne, ce sera la mort de la Cinquième République. »
Le mot est lâché : mort. Pas celle d’un homme, mais celle d’un modèle.
Macron sans majorité : le vide du pouvoir
Le président gouverne désormais sans majorité, sans véritable soutien, sans colonne vertébrale.
Le “centre” qu’il avait créé n’existe plus.
L’Assemblée nationale est fracturée : entre l’extrême droite de Marine Le Pen, la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon et un centre fatigué, tout dialogue semble impossible.
Résultat : des gouvernements éphémères, des compromis impossibles, et une France suspendue.
La situation rappelle la Quatrième République, cette période d’instabilité chronique qui avait fini par appeler de Gaulle au secours.
Sauf qu’aujourd’hui, aucun sauveur ne se profile.
Pas de figure tutélaire.
Pas d’homme providentiel.
Seulement un président encerclé par ses propres institutions.
Lecornu, la rupture qui n’a pas eu lieu
Sébastien Lecornu devait incarner le renouveau.
Il n’aura été qu’un souffle.
Son gouvernement, formé dans la précipitation, reprenait les mêmes visages, les mêmes réflexes, les mêmes formules.
Le retour de Bruno Le Maire à l’Économie a été perçu comme un symbole de continuité, voire d’arrogance.
836 minutes après son entrée en fonction, Lecornu démissionne.
Record battu.
Un éclair dans un ciel sans horizon.
Cette chute express n’est pas un accident, c’est un symptôme : Macron n’a plus de majorité, plus de relais, plus de partenaires politiques solides.
Il lui reste la Constitution. Mais la légitimité, elle, s’est évaporée.
Un système institutionnel à bout de souffle
La Cinquième République, conçue pour la stabilité, ne sait plus gérer la diversité ni la division.
Sans majorité claire, le président ne peut ni gouverner, ni cohabiter, ni dialoguer.
Le régime tourne en boucle.
Le pouvoir se heurte à la réalité d’un pays morcelé, défiant, parfois indifférent.
« Nous avons épuisé toutes les options pour trouver un gouvernement stable », constate la juriste Anne-Charlène Bezzina.
« La seule issue, c’est la dissolution. »
Mais dissoudre, c’est risquer une vague populiste.
Résister, c’est prolonger l’agonie.
Macron avance dans un couloir sans issue.
Une République en panne de souffle
Ce blocage n’est pas conjoncturel, il est structurel.
Le modèle gaulliste, bâti sur la verticalité et la concentration du pouvoir, ne correspond plus à un pays éclaté, multipolaire, connecté, imprévisible.
Le “président jupitérien” est devenu un monarque isolé.
Et derrière lui, c’est toute la machine républicaine qui craque.
« Mettre le pays avant le parti », répétait Lecornu.
Mais pour beaucoup, le vrai défi est ailleurs : mettre le pays avant le système.
Avant que le système n’étouffe le pays.
Une économie à la dérive
La démission de Lecornu a provoqué un choc immédiat sur les marchés.
En une journée : le CAC 40 a reculé de 2 %, l’euro a perdu 0,6 %, et les taux d’emprunt français ont bondi à 3,57 %, un record depuis quatorze ans.
Les marchés ont compris ce que les électeurs savaient déjà : la France n’a plus de cap.
L’instabilité politique est devenue économique.
Et dans une Europe déjà fragile, la France inquiète.
La dette, bombe à retardement
3,4 billions d’euros.
C’est la dette publique française.
Un chiffre abstrait, mais vertigineux.
Le déficit budgétaire, lui, atteint 5,8 % du PIB.
Et les agences de notation commencent à sanctionner.
Si rien ne change, les intérêts de la dette deviendront la première dépense de l’État d’ici quatre ans.
Ce sera la faillite silencieuse : celle d’un pays qui ne maîtrise plus sa trajectoire.
Et d’une Europe qui ne sait plus quoi faire d’un de ses piliers affaiblis.
Un budget fantôme, un État en roue libre
Le budget 2026, censé redresser les comptes, n’a jamais vu le jour.
La France avance à vue, sous régime provisoire.
Les outils constitutionnels permettent de “tenir”, pas de gouverner.
Pendant ce temps, les Français étouffent : inflation, impôts, colère sociale, blocages à répétition.
La défiance s’installe, durable.
La démocratie s’effrite.
Les marchés en alerte, les banques sous pression
Les grandes banques françaises BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole ont vu leurs actions plonger.
Leur exposition à la dette souveraine fragilise leur stabilité.
Une dégradation de la note française, et c’est tout le système européen qui tremble.
À Bruxelles, on s’inquiète ouvertement : si la France vacille, c’est toute la zone euro qui vacille avec elle.
Macron face à lui-même
Chaque mesure d’austérité rallume la colère sociale.
Chaque relance budgétaire creuse le déficit.
L’ancien banquier devenu président incarne le paradoxe d’un réformateur sans marge.
L’économie française, jadis locomotive de la zone euro, devient le wagon de queue.
Les politiques publiques ne convainquent plus.
Ni la gauche. Ni la droite. Ni le centre.
Le macronisme, autrefois promesse de dépassement, est devenu le symbole du blocage.
Une République déséquilibrée
Ce qui s’effondre, ce n’est pas seulement un pouvoir, c’est une croyance.
La croyance que la Cinquième République pouvait encore garantir l’équilibre entre autorité et démocratie.
Aujourd’hui, elle n’assure plus ni l’un ni l’autre.
Macron voulait “transformer la France”.
Il laissera peut-être une République fatiguée, prisonnière de ses institutions, étouffée par son propre poids.
Réformateur dans la méthode, destructeur dans les effets : son double quinquennat aura mis à nu les fissures d’un régime vieux de soixante-cinq ans.
Le dernier défi : éviter l’effondrement
Privé de majorité, enfermé dans une Assemblée éclatée, Emmanuel Macron n’a plus que des options risquées.
Dissoudre ? Ce serait peut-être l’ultime carte.
Mais une nouvelle dissolution pourrait accoucher d’une Assemblée encore plus divisée.
Démissionner ? Ce serait reconnaître l’échec d’un système tout entier.
La perspective d’une crise de régime totale n’est plus théorique.
Une démission présidentielle, suivie d’une présidentielle anticipée, plongerait le pays dans une campagne éclair, sans vision, sans débat, sans souffle.
Et le nouveau président, privé du droit de dissoudre pendant un an, serait bloqué dès son premier jour.
Un mandat mort-né.
Et après ?
Bruno Retailleau veut encore croire à un sursaut :
« Il y a tellement d’exemples, dans notre histoire, où la France a touché le fond avant de rebondir.
Quelques bonnes décisions, dès les premiers mois d’un mandat, peuvent tout changer.
La France a tant d’atouts… Il faut du courage, du cran mais on l’a. »
Peut-être.
Mais encore faut-il qu’il reste, à celui qui la dirige, le temps et la légitimité pour agir.
Et c’est bien là, aujourd’hui, le dernier défi d’Emmanuel Macron :
non plus gouverner, mais empêcher la République de s’effondrer avant lui.












